Aucun texte écrit par une femme avant le 12e siècle? Diane Watt, chercheuse en littérature britannique, n'y croyait pas. Elle s'est donc mise à la recherche d'éléments prouvant que la culture écrite n'a pas été le seul fait d'une élite masculine.
Ses recherches qui viennent d'être publiées sous le titre de "Women, Writing and Religion in England and Beyond, 650-1000" (non-traduit en français) aux éditions Bloomsbury Academic, l'ont menée jusqu'aux couvents du 7e siècle.
Une élite féminine
Parmi les premières autrices, précise Diane Watt, on compte principalement des abbesses et des religieuses, mais aussi des nobles ou même des membres de familles royales envoyées au couvent pour y recevoir une instruction.
"On ne parle pas ici de femmes lambda", souligne la professeure de littérature médiévale, "elles faisaient bien partie de l'élite". Leurs écrits portaient principalement sur des thèmes religieux, par exemple sur la vie de saints ou sur leur quotidien au couvent.
Le travail de recherche de Diane Watt ne s'est pas fait sans difficulté, notamment parce que les manuscrits de l'époque sont majoritairement en latin, sans parler du fait qu'ils sont pour beaucoup anonymes.
"L'identité de l'auteur d'un texte importait peu", ce qui primait était avant tout le contenu. Aujourd'hui, plus de mille ans plus tard, il est donc difficile de déterminer qui était l'auteur – ou l'autrice – d'un texte.
Signé Hugeburc
La vie de Saint Willibald, écrite par une religieuse anglaise nommée Hugeburc, en est un exemple fascinant. Ce n'est qu'au 20e siècle que l'on a pu lui attribuer le texte, après avoir réussi à déchiffrer la signature codée qu'elle avait dissimulée dans son manuscrit.
"A cette époque déjà, Hugeburc savait qu'un texte écrit par une femme recevrait moins d'attention que s'il avait un homme pour auteur", suppose Watt. Mais elle a néanmoins voulu laisser une trace. Et elle l'a fait en toute discrétion.
Comme il est difficile pour les chercheurs de savoir qui est l'auteur d'un texte anonyme, les manuscrits du Moyen-Age ont pour la plupart été par défaut attribués… à des hommes.
Repenser les connaissances sur la littérature ancienne
Diane Watt évoque la première biographie du Pape Grégoire 1er, datant du 8e siècle. On est toujours parti du principe qu'il avait été écrit par un moine du monastère Whitby, mais il n'y a en fait aucune raison de le croire: ce texte "aurait tout aussi bien pu être écrit par une nonne", déclare Diane Watt.
En effet, Whitby accueillait aussi bien des moines que des religieuses, qui bénéficiaient des mêmes possibilités d'instruction. Le texte contiendrait d'ailleurs des indices laissant penser qu'il pourrait avoir été écrit par une femme, et même par plusieurs.
"Les femmes y sont majoritairement présentées comme des meneuses", explique Diane Watt, et il y est aussi question de plusieurs autres thèmes touchant la gent féminine en particulier.
Ces dernières découvertes impliquent de repenser totalement les connaissances établies sur la littérature ancienne. Pour Diane Watt, le temps est enfin venu de jeter le pavé dans la mare et de remettre en question les fondements du savoir, basés sur de simples suppositions.
Les prémices de la culture de l'écrit ne seraient finalement pas aussi exclusivement masculines qu'on l'a pensé jusqu'à maintenant.
leus/gust/aq
Traduction: Service linguistique SSR
Diane Watt: "Women, Writing and Religion in England and Beyond, 650–1100", Bloomsbury Academic, 2019 (pas traduit en français).
Cet article a été initialement publié sur SRF Kultur (en allemand) le 13 janvier 2020