Né en 1951, Raphaël Confiant a baigné dès son enfance au nord de la Martinique dans la culture de la canne à sucre et la distillerie du rhum, sa principale transformation. Pratiques ancestrales des "habitations" que ses grand-père et père ont dirigées bien après la colonisation de l’île antillaise dès 1635 par les Français, envoyés par le cardinal de Richelieu sous Louis XIII.
De cette mémoire poursuivie malgré de grandes ruptures économiques durant quatre siècles, il a gardé une forte nostalgie de cette culture ouverte sur l’Atlantique et au carrefour des langues. Car les premiers colons ne s’exprimaient pas dans le français normé voulu par la monarchie et ses instruments de contrôle (l’Académie française créée cette même année 1635), mais bien dans les dialectes angevin, normand, poitevin et autres. Langues riches de quantité de vocables aujourd’hui perdus auxquels se sont mêlées les "parlures" des esclaves africains, des mulâtres puis les langues des communautés indiennes et chinoises, prolétarisées dès 1853 pour remplacer les "nègres", libérés en 1848.
Identité(s) multiple(s)
Baigné par ses langues multiples et l’odeur du rhum de la distillerie familiale, Confiant s’est mis à écrire dès les années 1970 des poèmes en langue créole, revendiquant ouvertement son appartenance à cette "mondialisation" linguistique imposée par la colonisation française depuis le XVIIe siècle. Avec Patrick Chamoiseau et Jean Bernabé, il fondait en 1973 le GÉREC (Groupe d'Études et de Recherches en Espace Créole) pour défendre dans les institutions universitaires l’enseignement du créole, son usage vivant et en développer la théorisation interdisciplinaire à la croisée de l’anthropologie, de la linguistique, de l’histoire, de la sociologie culturelle, etc.
Auteur de "Bitako-a", premier roman écrit en créole en 1985, il s’est fortement impliqué dans cette construction identitaire à la condition, proclame-t-il, de l’envisager comme une "identité multiple", en cela opposée à tout repli identitaire qui nierait le parcours historique des communautés martiniquaises ou, plus largement, des Antilles et de la Guyane française.
Loin de la capitale monarchique, Paris, la Martinique des Grands Blancs, les colons "créoles" et îliens et leurs esclaves ont conservé une langue complexe que Confiant restitue dans son oralité expressive. En 1989, il signait avec ses pairs, Chamoiseau et Bernabé, le manifeste "Éloge de la Créolité" qui fit grand bruit en dépassant le discours "noiriste" et "blanchiste", le concept même de négritude défendu par Aimé Césaire, notamment, par besoin d’ouvrir largement l’espace créole de ces cultures multiples sans les restreindre à une approche "raciale" entre maîtres et esclaves, par exemple.
Le chevalier de Clieu, planteur des Lumières
Roman-monde se déroulant entre 1702 et 1774, soit de la première traversée du hobereau normand Gabriel-Mathieu d’Erchigny de Clieu à sa mort de retour en Normandie, "Grand café Martinique" nous embarque sur la Mer des Ténèbres et des Sargasses, comme on dénommait autrefois l’Atlantique, en y suivant les rêves "amériquains" [sic] de ce provincial décidé à planter du café en Martinique pour y défendre les intérêts du royaume de France face aux Espagnols, Hollandais, Portugais et Anglais. Cette épopée maritime, narrée dans un français "créolisé" tel qu’il se parlait au siècle des Lumières, croise une superbe mythographie de la petite cerise rouge, découverte lors d’une nuit étoilée par la chèvre Dik-Dik, échappée à la surveillance de son petit berger, Kaldi, en Abyssinie au IVe siècle de notre ère.
Enchâssés, les deux récits recouvrent un destin singulier et l’essor de la première plante "mondialisée", le café, des moines coptes d’Abyssinie, adeptes de cette boisson énergisante, à l’essor des cafés parisiens où se discutèrent l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert puis les Droits de l’Homme et du Citoyen au seuil de la Révolution française. Formidable perspective historique, étayée par une documentation sans faille, "Grand Café Martinique", émerveille par son souffle, la dureté du "bon vieux temps" et sa langue "navigante".
Christian Ciocca/aq
Raphaël Confiant, "Grand café Martinique", Mercure de France, 2020.
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