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Quand Claudie Hunzinger s'émerveille de la vie sauvage

L'écrivain Claudie Hunzinger. [Grasset - Françoise Saur]
A voix haute - Claudie Hunzinger lance un cri de colère pour défendre le monde sauvage / A voix haute, le rendez-vous de Manuela Salvi / 14 min. / le 2 février 2020
L'auteure et plasticienne Claudie Hunzinger est présente ce samedi au festival Mille fois le temps à La Chaux-de-Fonds. L'occasion de se plonger dans "Les grands cerfs", son dernier roman pour lequel elle a reçu le Prix Décembre 2019.

La narratrice et son compagnon ont décidé depuis des décennies de vivre loin des hommes dans le Ballon des Vosges, en Alsace. Soixante-huitards lassés des luttes et des concepts révolutionnaires, Pamina et Nils ne sont que tolérés par les chasseurs et les agriculteurs de cette région de montagne où rôdent encore une faune farouche: sangliers, renards, chevreuils et, les plus mystérieux de tous, les grands cerfs.

De la ferme délabrée en lisière de forêt, les Hautes-Huttes, ils suivent, chacun à son rythme, saisons et frayage des ongulés, l’obsession de Pamina. Aidée dans ses observations par un baroudeur, Léo, qui les reconnaît tous à la taille des bois et des empaumures, les cervidés mènent une vie nocturne en marge du domaine, se déplacent en horde sous la conduite d’un mâle mythique surnommé Wow, l’onomatopée de son cri lors du rut.

Chronique d’un temps suspendu

Au cœur d’une nature âpre dont les hivers protègent de leur froidure la vie sauvage, entre brumes et éclaircies, Pamina tient la chronique de sa traque pacifique, intriguée par les menées de l’adjudicataire qui choisit le gibier à abattre et les fonctionnaires de l’Office national des forêts qui observent les dégâts que les cerfs provoquent aux arbres qu’il faut aussi abattre.

Cette tension alimente un récit tissé de colère et d’émerveillement quand les ongulés disparaissent sans laisser de traces ou apparaissent par enchantement sous l’affût de fougères. Fantomatiques, ils sont devenus l’horizon d’écriture, alors que l’auteure se demande si elle n’aligne pas "les romans de sa vie" en autant d’embranchements qui rayonneraient comme les grands bois des mâles dominants. Huit cors, dix cors, jusqu’à dix-huit cors, les ramures croissent selon un cycle immuable par leur renouvellement parfois douloureux qui laissent au sol des trophées très recherchés, les "mues".

Sa propre mue animalière

"Peut-être bien ai-je écrit tout ce que je raconte là du fond d’un ventre d’un loup", insiste la narratrice passée de l’autre côté de l’humanité à force d’observations silencieuses, à la jumelle achetée chez un brocanteur de Strasbourg, à force d’approche "son regard dans mon regard" avec un mâle, un "grand 12" qui a failli la charger pour défendre son aire de reproduction, à la poursuite de son harem.

De nuits en nuits, durant plusieurs saisons, Pamina finit par bramer sa douleur devant l’extinction des espèces, ce vide apparu en une décennie à peine. A sa manière sauvage, elle se radicalise en n’acceptant plus les compromis de Léo avec la famille des adjudicataires, de père en fille, qui ne tuent pas les cerfs, mais les régulent; de même contre l’ONF qui planifie l’extraction du bois sans se soucier des besoins vitaux des animaux, malgré les bracelets (contrôle des tirs) et les statistiques.

Protégée par son envie de "sauvagerie", par la nature cristalline qui s’illumine aux pourtours des Hautes-Huttes, Pamina n’en déplore pas moins "le futur qui nous était tombé dessus", étrange anachronisme, impasse d’une humanité vaincue par ses massacres. Tout en sauvegardant intact le mystère d’un grand cerf, entraperçu dans la futaie, qui de sa seule présence pourtant furtive, résiste.

Christian Ciocca/aq

Claudie Hunzinger, "Les grands cerfs", Grasset, 2019.

Rencontre avec l’auteure, le 31 janvier à 12h à la librairie La Méridienne, La Chaux-de-Fonds, dans le cadre du festival Mille fois le temps.

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