Léman, rives d'accueil et de refuges des écrivains

Grand Format

CC-BY-SA - Andréanne Quartier-la-Tente

Introduction

Voltaire, Rousseau, Germaine de Staël, Byron, Hugo, Stendhal, Chateaubriand, Dumas, Flaubert et Rolland ont en commun d’avoir séjourné ou vécu au bord du Léman pour y trouver refuge, santé ou inspiration.

Chapitre 1
Ils ont changé le monde sur le Léman

Phares pour leurs contemporains, Voltaire, Rousseau, Germaine de Staël, Byron, Hugo, Stendhal, Chateaubriand, Dumas, Flaubert et Rolland ont tous séjourné au bord du plus grand lac d’Europe occidentale.

Neuf hommes de lettres, et une seule femme, mais quelle femme !, ont pris place dans les dix portraits lémaniques que publient chez Slatkine Ann Bandle et Béatrice Peyrani sous le titre de "Ils ont changé le monde sur le Léman"

Autant de biographies bien documentées, remarquablement illustrées qui rendent justice à une région et à ses hôtes illustres, tant leur influence littéraire, politique ou philosophique a marqué la modernité.

Le Léman fut pour certains terre d’accueil et de repos, pour d’autres terre d’exil, donc de refuge, enfin pour une minorité bain de jouvence et de santé.

Alors que la région lémanique a connu, grâce à leur passage d’ailleurs, un essor touristique jamais démenti depuis le début du XIXe siècle, les figures réunies en ont souvent éprouvé d’autres usages, voire même d’autres nécessités, en lien avec leur vie mouvementée.

Couverture du livre "Ils ont changé le monde sur le Léman". [Editions Slatkine]
Couverture du livre "Ils ont changé le monde sur le Léman". [Editions Slatkine]

Chapitre 2
Voltaire, de la disgrâce à l’ancrage lacustre

DP - Brücke-Osteuropa

Le sieur Voltaire (1694-1778) eut le mérite de heurter Sa Majesté Louis XV par ses écrits et sa "philosophie" éclairée, anticipant celle de l’Encyclopédie. En 1754, fuyant la disgrâce et sa possible incarcération à la Bastille, il fit halte au château de Prangins, loin du tumulte parisien et des cabales, avant de s’établir dans sa propriété des Délices à Genève puis d’acheter le somptueux domaine de Ferney en Gex.

Lieu d’une nouvelle mondanité spirituelle (on est Voltaire ou ne l’est pas), il rayonna dans toute l’Europe en créant un théâtre très prisé de cette "gentilité" ouverte aux Lumières et aux idées nouvelles. Mais comment s’affirmer loin de Paris. L’Académie finit par l’accueillir dès 1774 où le chantre de la tolérance triompha, proprement auréolé d’une couronne de laurier. Revanche d’un bel esprit sur celui de son temps, bientôt gagné par les idéaux révolutionnaires.

Chapitre 3
Rousseau, le citoyen de Genève

DR - Collection privée

Pour Rousseau (1712-1778), natif de la cité de Calvin, le Léman fut un premier port d’attache, mais on sait comment le jeune Jean-Jacques fuit un soir la ville close pour trouver son propre chemin auprès de sa protectrice et figure maternelle, Madame de Warens. Citoyen de Genève, Rousseau n’en était pas moins un indésirable qui risqua lui aussi de sérieux ennuis avec les autorités pour l’audace de ses écrits et sa pensée en avance sur son temps.

Cependant, tout comme Voltaire, son "ennemi intime", Jean-Jacques recouvra l’estime de ses concitoyens genevois. C’est en rejoignant la demeure veveysane de "Maman" que le philosophe découvrît les rives enchanteresses du Léman où il situa l’intrigue de sa "Julie ou La Nouvelle Héloïse", best-seller des Lumières et premier hymne romanesque à la nature, préfiguration durable du sentiment romantique des éléments.

Chapitre 4
Germaine de Staël, forte tête en exil

DP

Parisienne jusqu’au bout des mots, Germaine Necker (1766-1817), fille du ministre des finances de Louis XVI, révoqué le 12 juillet 1789 avec les conséquences que l’on sait, n’en devint pas moins l’adversaire instruite des égarements de la Terreur. Jacques Necker, Genevois fortuné, avait acquis en 1784 le château de Coppet qu’il transforma en demeure champêtre et en abri de ses "Mémoires".

En délicatesse avec l’homme fort du Directoire, le Premier Consul Bonaparte, qui avait toute raison de se méfier de ses "intellectuels" hostile à son césarisme, Germaine de Staël (par son pâle mariage avec un aristocrate suédois qu’elle n’aimait pas) se réfugia à Coppet. L’exil pourtant se transforma en carrefour des idées européennes et du libéralisme, si finement défendu par un Vaudois d’origine néerlandaise, Benjamin Constant, amant de cette femme rayonnante et influente.

Chateau de Coppet (VD), demeure de Madame de Staël pendant de nombreuses années. [CC-BY-SA 3.0 - Didier Grau]
Chateau de Coppet (VD), demeure de Madame de Staël pendant de nombreuses années. [CC-BY-SA 3.0 - Didier Grau]

A la manière du couple Sartre-Beauvoir, un siècle et demi plus tard, Germaine et Benjamin ont construit la légende d’une intelligence incarnée, sensible aux libertés individuelles et au bien public. En cela, ils ont ouvert la modernité politique tout en écrivant parmi les plus belles pages de la littérature.

Chapitre 5
Stendhal, en suivant la Grande Armée

AFP

En franchissant le 20 mai 1800 le col du Grand-Saint-Bernard à dos de mule et non sur le beau coursier des peintres officiels, le général Bonaparte n’ouvrit par seulement le passage à sa Grande Armée pour libérer l’Italie et bientôt l’Europe, mais une épopée marquante du siècle nouveau.

Le Grenoblois Henri Beyle (1783-1842), qui signera ses romans du pseudonyme Stendhal, faisait partie des bagages et s’émerveilla des rives du Léman, de Genève où en pèlerin il visita la maison natale de Rousseau, jusqu’à Rolle.

Martigny: La Grande-Maison vers 1860. [Collection privée du groupe d'option compémentaire en arts visuels du Collège de l'Abbaye de Saint-Maurice.]Collection privée du groupe d'option compémentaire en arts visuels du Collège de l'Abbaye de Saint-Maurice.
Figures libres - Publié le 5 février 2020

Il y reviendra grâce à un ami genevois, Constantin Abraham, peintre sur porcelaine et bon vivant qui enthousiasma l’écrivain en herbe en le conviant aux bonnes tables des hôtels et auberges au bord du lac avant de le suivre à Rome ou à Lausanne. Stendhal en écrivit les pages heureuses, en marge des tumultes de l’histoire que Napoléon inscrivit quant à lui dans le sang et la poudre.

Chapitre 6
Lord Byron, un prisonnier fameux et… Frankenstein

Saam - Smithsonian American Art Museum, Washington. DC, Dist. RMN-Grand Palais

Aristocrate britannique, plein d’élan et d’infortune, Lord Byron fut aussi, à sa manière, un fuyard accablé de dettes. Mais il paya la sienne, dira-t-on, lors de son séjour à Cologny en participant, un soir d’orage de juin 1816 à un concours "de récits d’épouvante" en compagnie de ses amis Percy et Mary Shelley.

Le fougueux poète, en romantique conséquent, en tira des récits sur la décomposition de l’univers et sa "Nouvelle du Vampire", tandis que Mary accouchera d’un formidable roman promis à la postérité "Frankenstein", drame prémonitoire du post-humanisme et des scénarios hollywoodiens. N’empêche, n’est-ce pas l’orage déchaîné, zébré d’éclairs sur le Léman, qui souffla aux Britanniques de telles visions?

Lord Byron n’en reviendra pas moins sur terre et même au raz des flots en composant son grand poème "Le Prisonnier de Chillon" en hommage à Bonivard, protestant incarcéré par les ducs de Savoie dans leur demeure seigneuriale au XVIe siècle. Forteresse qui n’avait pu que l’envoûter, une fois encore.

>> A lire également : Comment la Riviera vaudoise est devenue un pôle culturel international

Le château de Chillon par Gustave Courbet. [Leemage/AFP - Luisa Ricciarini]
Le château de Chillon par Gustave Courbet. [Leemage/AFP - Luisa Ricciarini]

Chapitre 7
Chateaubriand, Flaubert, Hugo et Dumas: des voyages contradictoires

Si la haute figure du romantisme français, Chateaubriand (1768-1848), a bien rencontré son amour, Juliette Récamier chez Germaine de Staël au château de Coppet en 1803, il ne la reverra en amant encore enamouré que trente ans plus tard alors qu’il s’était établi aux Pâquis à Genève.

Souvenirs lumineux au bras d’un ange qui stimula la rédaction de ses fameux "Mémoires d’outre-tombe".

Pour Flaubert (1821-1880), en revanche, le Grand Tour passant par Genève et le Léman ne fut pas si radieux lors d’un premier séjour en 1845; néanmoins, il se consola non en gravissant le Righi, mais en prenant le petit train de montagne inauguré en 1871.

Pour le père du "naturalisme", la Suisse n’est jamais apparue comme un pays prospère et les haltes qu’il y fit furent avant tout l’opportunité de visiter Coppet, le château de Voltaire et le souvenir de Rousseau.

François-René, victome de Chateaubriand (1768-1848), méditant sur les ruines de Rome devant une vue du Colisée, par Girodet De Roussy-Trioson Anne-Louis (1767-1824), 1811. [RMN-Grand Palais (Château de Versailles)/Franck Raux]
François-René, victome de Chateaubriand (1768-1848), méditant sur les ruines de Rome devant une vue du Colisée, par Girodet De Roussy-Trioson Anne-Louis (1767-1824), 1811. [RMN-Grand Palais (Château de Versailles)/Franck Raux]

>> A écouter: Béatrice Peyrani, journaliste, et Ann Bandle, présidente du Cercle des amis du château de Coppet, évoquent leur livre "Ils ont changé le monde sur le Léman" :

La neige recouvre les vignes du Lavaux à Chexbres au dessus du village de Rivaz. [Keystone - Cyril Zingaro]Keystone - Cyril Zingaro
Caractères - Publié le 2 février 2020

En somme, le contraire de Victor Hugo (1802-1885) qui trouva en Helvétie tout d’abord le grand air du voyage dépaysant et familial dès 1825, rebelote avec sa maîtresse, Juliette Drouet, en 1839 puis, en septembre 1869, à Lausanne, où il participa activement au Congrès de la Paix, six ans après la fondation par Henry Dunant du Comité de la Croix-Rouge.

L’inspiration socialiste de l’auteur des "Misérables" fit florès au congrès lausannois. Après son exil commandé par Napoléon III, "Napoléon le petit" selon le mot féroce de Hugo, grand admirateur de l’oncle glorieux, le grand écrivain reviendra en Suisse en 1883 et 1884 dans un esprit de deuil, trois de ses quatre enfants étant décédés de maladie, et la dernière, Adèle, sombrant dans la folie.

Pour le plus grand poète français du siècle, la Suisse fut tout de même une terre d’accueil, de repos et d’observations enthousiastes, également consignées dans de magnifiques lavis à la plume, à Lucerne.

Quant à Alexandre Dumas (1802-1870), romancier ô combien imaginatif, revisitant l’histoire par des intrigues palpitantes, il se reposa en Suisse en 1832, épuisé et se revigora dans les embruns de la cascade de Pissevache à Vernayaz. Comme quoi le bon air helvétique remettait en selle touristes et écrivains fringants.

"Lucerne: ce que je vois de ma fenêtre" par Victor Hugo (1802-1885), plume et lavis d'encre brune, 13 septembre 1839. [Maison de Victor Hugo / Roger Viollet - HUGO Victor]
"Lucerne: ce que je vois de ma fenêtre" par Victor Hugo (1802-1885), plume et lavis d'encre brune, 13 septembre 1839. [Maison de Victor Hugo / Roger Viollet - HUGO Victor]

Chapitre 8
Romain Rolland, un pacifiste entouré

Keystone

Le Bourguignon Romain Rolland (1866-1944) est des dix personnalités biographiées celle qui n’eût pas d’autre choix que de séjourner un quart de siècle en Suisse romande, à Villeneuve dans la villa Olga, bien qu’il y fût déjà venu en 1882 puis l’année suivante pour admirer… Victor Hugo à Villeneuve, moment furtif qui décida de l’engagement littéraire du cadet.

Pacifiste convaincu, Rolland signa en 1914 le manifeste "Au-dessus de la mêlée" qui lui valut l’opprobre et le qualificatif de "traître à la patrie". Texte pourtant inspirant, Carl Spitteler, le Prix Nobel suisse de littérature 1919, a su s’en souvenir dans une réflexion semblable, récusant tout parti pris.

Rolland a pu donc développer son mysticisme pacifique, renforcé par son engagement au CICR en faveur des prisonniers de guerre. Un retour au pays en 1918 lui sembla impossible, tant il était infréquentable pour les milieux universitaires français. L’exil, choisi plus qu’imposé, dura jusqu’en 1938, avant un retour à Vézelay, ce village médiéval dominé par l’abbaye, haut lieu de pèlerinage sur le chemin de Compostelle.

Dans ses dernières années, le Prix Nobel de littérature 1915, correspondant en Suisse des plus grands esprits de l’époque: Zweig, Freud, Gandhi, Tagore, écrivit un monumental "Journal de Vézelay" (1938-1944). Une fois encore, il y déplora la folie guerrière et son propre sentiment d’impuissance, "étranger au présent".

Mahatma Gandhi (1869-1948) pendant une interview à la Villa Olga à Villeneuve avec l'écrivain Romain Rolland. [Bridgeman Images]
Mahatma Gandhi (1869-1948) pendant une interview à la Villa Olga à Villeneuve avec l'écrivain Romain Rolland. [Bridgeman Images]