Le 5 février dernier à Fribourg, Matthieu Corpataux affichait le sourire de la réussite et du partage amical. En sept ans d'existence, la revue littéraire qu'il a fondée en 2013 en marge de l'Alma mater fribourgeoise affiche une santé éclatante et a rallié une centaine de participants épatés par cette aventure éditoriale d'un autre type. Et non sans une certaine malice car, "épître" ne renvoie pas aux injonctions de l'apôtre Paul, mais à la forme courte en vogue au XVIIe siècle et, par esprit un tantinet potache, aux pitres des pas de côté.
Au départ, une frustration
Si chacun admet qu'en matière d'art la formation et l'entraînement s'imposent comme une évidence, en littérature en revanche on se satisfait volontiers d'un talent inné: on sait d'emblée écrire ou non comme un don tombé du ciel. Pour Matthieu Corpataux, par ailleurs enseignant de littérature française à l'Université de Fribourg, cet a priori culturel est démenti par l'expérience. En partageant textes et expérimentations avec d'autres, il vise au perfectionnement et à la maîtrise de l'écriture dans différents genres. Cette ambition éditoriale a d'ailleurs rencontré l'adhésion de centaines d'auteurs qui ont envoyé de toute la francophonie des milliers d'écrits depuis le lancement de la revue. Preuve s'il en est du besoin d'expression, mais aussi d'accompagnement de la pratique littéraire.
Expérimentation non chiffrée
"L'Épître" doit sa liberté à sa forme associative et non commerciale, basée essentiellement sur le bénévolat. Elle se soucie de réception mais pas d'audience à tout prix. Sa réussite se situe dans ce lent travail de contacts, de relecture collective au sein d'un comité d'"experts", des professionnels de la littérature, attentifs au projet de chaque texte et pas exclusivement au "produit fini". Dans l'espace imprimé, l'auteur est invité à (se) tester, à expérimenter des formes dont il n'est peut-être pas familier. En ce sens, la reconnaissance, les autres regards l'emportent sur l'auto-qualification, pour ne pas dire l'autosatisfaction. Cela peut remettre en question la notion d'auteur qui serait censé répondre seul de son texte.
Repousser la subjectivité
Le jeune trentenaire a d'emblée accepté de mettre sa subjectivité en sourdine, car imposer le regard du seul Matthieu Corpataux n'avait aucun sens pour lui. Chaque auteur est donc accompagné par quatre lecteurs différents, une multi-subjectivité autrement plus riche. Car s'ils concordent sur la qualité, c'est sans doute qu'elle vaut une publication sur la plateforme numérique dominicale.
En vernissant le sixième volume, le 5 février dernier, "L'Épître" renforce sa vision éditoriale en publiant quinze autrices et auteurs précisément retenu(e)s pour la vigueur et l'excellence de leur proposition littéraire, proposition validée une fois l'an à l'unanimité par neuf lecteurs.
Travail de fond sur la longueur
Pariant sur la maturation, à la manière des meilleurs cépages, la revue fribourgeoise encourage les auteurs à dépasser leurs limites, des plus jeunes (Leïla Dorsaz) aux plus âgés tels Yves Noël Labbé. Il a fallu une certaine audace pour refuser des textes d'auteurs confirmés mais, après sept ans de cheminement, "L'Épître" confirme son envol, sa confiance dans les écritures diversifiées et en progression. Par ailleurs sponsorisée, l'équipe anime également des ateliers d'écriture, des expositions et autres événements qui font de la littérature un mouvement artistique et social dont la stricte localisation importe moins aujourd'hui.
Christian Ciocca
"L'Épître" – revue de relève littéraire, Vol. VI, février 2020
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