C'est un essai en forme de plaidoyer pour une conception de la traduction qui n'exclut pas sa violence. Non, traduire une langue n'est pas simplement un geste de communication, souligne Tiphaine Samoyault dans "Traduction et violence", disponible en ebook sur le site des éditions du Seuil.
Et puisqu'elle est une opération ambiguë et complexe, la traduction est capable du meilleur comme du pire, décrypte sur près de 200 pages la romancière, professeure en littérature comparée à l’université Paris-III et traductrice. Il est donc aujourd'hui essentiel de dévoiler et de penser les violences qui sous-tendent l'acte même de traduire.
Au-delà de la transparence
A l'ère de l'intelligence artificielle et des logiciels de traduction automatique, l'opération de traduire est trop souvent (dé)considérée comme une simple opération de transparence.
Un exemple édifiant est celui d'un événement de l'envergure des Jeux Olympiques 2020 qui auraient dû se tenir au Japon, avant la pandémie du coronavirus et qui auraient rassemblé presque tous les pays du monde. Pour que tout se déroule au mieux, l'entreprise Sourcenext a décidé de produire un appareil capable de traduire près de septante-cinq langues à destination du marché touristique. Un outil ponctuellement utile, certes, mais qui oblitère, par la force des choses, les spécificités de chaque langue. Et qui ne fonctionne que pour et vers les langues dominantes, accélérant ainsi la disparition des petites langues.
Et l'autrice de remarquer: "la transparence est une violence". Pour appuyer son propos, Tiphaine Samoyault cite la très belle phrase d'Alexis de Tocqueville: "L’assimilation a pour but d’effacer l’étrangeté de l’étranger". Avant de présenter un chiffre fou: il y a environ six mille paires de langues à traduire dans le monde, ainsi la rencontre avec l’autre - si rencontre il y a, ce que ces outils empêchent - est toujours rencontre avec une langue".
Colonisation de la langue
Autre violence, et politique celle-ci: celle liée au fait que la traduction accompagne les situations de violence historique passées ou actuelles et les relations d’inégalité ou de domination. Plusieurs exemples sont évoqués dans l'ouvrage, parmi lesquels la domination coloniale, les camps d'extermination, les sociétés d'apartheid ou les régimes totalitaires.
Autre exemple, celui de la frontière, lieu de toutes les perversions en matière de traduction. Un fait édifiant (et terrifiant) à une époque où les migrants sont toujours plus nombreux à chercher refuge dans les pays occidentaux. Ainsi, parfois, dévoile l'autrice, "faute de fournir aux demandeurs d’asile des interprètes leur permettant de s'expliquer, leur renvoi est plus aisé".
>> A écouter: Entretien avec Tiphaine Samoyault, à propos de son ouvrage "Traduction et violence"
La littérature résiste
Mais Tiphaine Samoyault n'en oublie pour autant pas la traduction littéraire, qui est, par essence, une opération collective, ambiguë et parfois impossible. Certaines œuvres, comme celles de Pouchkine par exemple, persistent à résister à la traduction. Au traducteur donc de s'affranchir et de faire preuve de créativité pour donner à lire dans une autre langue.
Au fond, remarque l'autrice, la question de la fidélité est un faux problème en matière de traduction. Tout comme la question de l'original, qui est obsolète: "Le texte n’a de véritable existence qu’entre les différentes versions", conclut Tiphaine Samoyault. Avant de remarquer, non sans malice, que la si complexe profession de traducteur est aujourd'hui majoritairement féminine.
Linn Levy/aq
Tiphaine Samoyault, "Traduction et Violence", Fiction & Cie, Seuil.
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