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"L'Apiculteur d'Alep", un récit original sur la douleur des migrants

La couverture du livre "L'apiculteur d'Alep" de Christy Lefteri. [Seuil]
"L'Apiculteur d'Alep", un récit original sur la douleur des migrants / Six heures - Neuf heures, le samedi / 5 min. / le 11 avril 2020
Christy Lefteri est née à Londres de parents chypriotes. "L’Apiculteur d’Alep", son deuxième roman, lui a été inspiré par son travail de bénévole dans un camp de migrants à Athènes. Un grand roman populaire.

Nuri est apiculteur, sa femme, Afra, artiste. Ils vivent avec leur jeune fils, Sami, à Alep, en Syrie. La vie y est douce jusqu'à ce qu'éclate la guerre qui ravage tout, jusqu'aux précieuses ruches de Nuri qui décide alors de partir pour rejoindre l'Angleterre. Mais sa femme repousse le plus longtemps possible le moment fatidique de l'exil. On comprendra pourquoi au fil du récit.

Le principe du Marabout de ficelle

En attendant leurs papiers pour résider en Angleterre, Nuri se met à décrire leur long et douloureux périple pour arriver jusqu'au sol britannique. Récit à la première personne, avec de nombreux allers et retours dans le temps, "L'Apiculteur d'Alep" de Christy Lefteri se distingue par sa construction très originale.

Le premier chapitre du roman, qui se déroule en Angleterre, se termine sur une phrase inachevée à laquelle il manque un mot. Ce mot, isolé, apparaît à la page suivante, entièrement blanche, et deviendra le début du chapitre deux, et ainsi de suite jusqu'à boucler la boucle. Ce procédé qui rappelle le "Marabout de ficelle selle de cheval" est très efficace pour montrer comment se met en marche la machine à remonter le temps, par associations d'idées, d'atmosphères, de moments, d'odeurs, de parfums, d'épices, de couleurs, etc.

Les abeilles en métaphore


Christy Lefteri excelle à nous faire ressentir la douleur de ce couple qui a tout perdu, ses repères comme les gens qu'ils aiment. On pleure, on s'indigne, on a honte de notre indifférence. Loin des bons sentiments pourtant, l'autrice aime gratter là où ça fait mal. Elle y décrit mieux que n'importe quel reportage TV la dureté d'un monde qui a perdu tout sens de l'empathie, un monde où la violence et l'instinct de survie finissent par confiner les êtres dans une sorte de scaphandre qui les isole du monde et des autres.

Elle rappelle aussi que le mot "reconstruire" ne peut se conjuguer qu'au pluriel, à l'image des abeilles omniprésentes qui ne se contentent pas de faire du miel, mais représentent la vie, l'espoir et qui, surtout, incarnent le sens du bien commun, contrairement à l'humain.

Sujet: Geneviève Bridel

Adaptation web: Marie-Claude Martin

Christy Lefeteri, "L'Apiculteur d'Alep", éditions du Seuil.

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