Camille Tazieff, héroïne et narratrice du dernier roman de Pauline Klein, est une "spectatrice sans opinion" qui choisit dès son plus jeune âge de "faire une vie hors champ" tout en regardant mollement, de biais et depuis la marge, le monde social. Loin du bruit de la collectivité, la jeune femme prend le temps de l'observer et de s'observer, parce que, après tout, son existence est un objet comme un autre...
Autant de traits de caractère qui, dès les premières pages du quatrième roman de l'autrice française de 45 ans, donne au lecteur le sentiment d'entendre tourner comme une litanie le "Je préférerais ne pas" cher au scribe Bartleby de l'Américain Herman Melville, symbole littéraire de la résistance passive. Ou le "Attendre, attendre seulement jusqu'à ce qu'il n'y ait plus rien à attendre", prononcé lascivement par Ludmilla Mickaël dans l'adaptation cinématographique du roman "L'homme qui dort" de Georges Perec.
Un exil intérieur
Au moment où la quasi-totalité du monde (sur)vit dans la contrainte d'une claustration sanitaire pour tenter de juguler la pandémie de Covid-19, le choix de Camille Tazieff qui s'épanouit dans une sorte de "flou ambiant" et d'exil intérieur résonne comme un écho: et si le dehors valait le dedans? Et si l'énergie dépensée par chacun pour tenter de valider son existence aux yeux des autres, pour entériner son aptitude à être au monde, pour in fine être acceptable en société, détournait de la vraie vie?
Camille résiste d'abord, sans violence mais résolue. Pour "échapper à ce qui (lui) était demandé", pour "défaire au lieu de faire". Mais, vient un moment dans l'existence où "la vie adulte nous rattrape". Las, l'héroïne réalise soudain le décalage existant entre sa "vie intérieure et le reste du monde, (...) vers vingt-cinq ans, on prend conscience d’être sa propre marionnette".
Une vie d'écrivain
Pour ne pas mourir de solitude, Camille Tazieff s'invente alors un personnage, entre dans la vie active, sabote ses divers jobs, devient galeriste à New York, rencontre un banquier juif, rentre à Paris et se met en ménage avec un bel héritier. "Je m'étais inventé un personnage que j'aurais moi-même eu envie d'étreindre" dévoile celle qui, désormais trentenaire, se décrit comme un être d'une "fadeur physique réconfortante" mais qui, en réalité, doit sans doute être d'une beauté à tomber à la renverse.
Pourtant rien n'y fait, rien ne permet à l'héroïne de coller au monde. Alors elle décide de se retirer dans l'écriture. Pour vivre une vie d'écrivain. Au moins pour un temps, au moins pour retrouver un espace-temps. Comme un ultime hommage au narrateur de Proust, qui confessait, dans le dernier tome de "La Recherche": "La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature".
Linn Levy/ld
"La Figurante", Pauline Klein, éditions Flammarion.
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