C'est le souvenir d'un éblouissement. L'empreinte magique des contes de sa jeunesse. Dans sa bibliothèque personnelle, Shumona Sinha a gardé quelques trésors de son enfance: les livres illustrés de l'avant-garde russe, découverts en édition clandestine sur les étals de Calcutta.
Dans ces récits poétiques des années 1920, signés Samouil Marchak ou Korneï Tchoukovski, les lavabos prennent forme humaine, les sandales terrorisent les escarpins bourgeois et les crocodiles engloutissent les molosses. Une littérature trop désinvolte et symbolique pour être honnête aux yeux du parti.
Publiés par les éphémères éditions Raduga, ces contes subversifs sont le Graal d'une quête personnelle, sublimée au sein du "Testament russe", nouveau roman de Shumona Sinha.
Entre le Bengale et la Russie existait une route de la soie secrète et sinueuse.
Deux femmes, deux idéaux
Révélée en 2011 avec "Assommons les pauvres!" (Ed. de l'Olivier), l'autrice française d'origine bengalie s'inspire de sa propre fascination à l'égard de la culture russe pour conter les destins parallèles de deux femmes: à Calcutta d'abord, le lecteur suit la jeunesse de Tania, fille de bouquiniste qui grandit dans un foyer toxique et trouve son salut dans la littérature de l'ère soviétique.
Dans l'autre monde, dans cette Russie aux idéaux effondrés, Adel, presque nonagénaire, fille du fondateur des éditions Raduga, se remémore la vie tourmentée de son père et les années de guerre, aiguillonnée en cela par une lettre que lui adresse la jeune Tania. Entre deux femmes, deux époques, deux méridiens se trame le rêve d’une rencontre d’âmes et d’idéaux.
Une langue charnelle
Comme Andreï Makine et son "Testament français", auquel le titre de ce roman rend hommage, comme Milan Kundera ou Atiq Rahimi, Shumona Sinha s'est enamourée il y a plus de 25 ans de la langue française, la plus à même d'exprimer ce que sa langue originelle ne savait incarner. Charnelle, subtile et infiniment poétique, l'écriture de ce cinquième roman révèle l'ampleur de sa maîtrise et de son imaginaire onirique. Un envoûtement capiteux dont le lecteur éprouve durablement le parfum nostalgique.
Nicolas Julliard/ld
"Le testament russe", Shumona Sinha, Ed. Gallimard.
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