Après "Husbands" (2013) et "Les garçons de l’été" (2017), voici un troisième roman, "Il est des hommes qui se perdront toujours", que publie sous pseudonyme Emmanuelle Bayamack-Tam, autrice phare des éditions POL et prix du livre Inter 2019 pour "Arcadie". Et quand elle signe ses textes sous le nom de Rebecca Lighieri, on sait désormais qu’il va y avoir du sang.
"Il est des hommes qui se perdront toujours" raconte l’histoire de Karel, un garçon qui a grandi dans une cité HLM des quartiers nord de Marseille, ville natale de la romancière. Son père vient d’être tué à coup de pierre, et Karel ne pleure pas un instant la mort de cet homme violent et détesté.
Mais il se souvient. Son enfance dans la cité Antonin Artaud, avec son frère et sa sœur, leurs escapades au passage 50, camp de gitans sédentarisés où les enfants apprennent la liberté. C’est dans le camp que vit Shayenne qui devient, et pour longtemps, la petite amie de Karel.
On est en 1994. À Marseille, tout le monde écoute IAM, et leurs chansons deviennent la bande originale du deuxième été de notre amour, tandis que nous nous trimbalons en bus d’une plage à l’autre.
Un exercice de haute voltige
Rencontrée chez son éditeur le premier jour du déconfinement, Bayamack-Tam/Lighieri raconte simplement: "J’avais envie de revenir sur ma jeunesse marseillaise". Récit d’apprentissage, roman noir ou tragédie grecque, l’autrice a su parler de sujets graves, notamment la maltraitance et la relégation sociale, sans tomber dans les clichés. Et elle a su ancrer ses personnages dans le langage reconstruit d'un milieu populaire sans tomber dans la pagnolade. Un exercice de haute voltige extrêmement maîtrisé.
Le roman noir va arpenter des pans du monde social ignorés d’habitude, et ça m’intéresse.
Car chez cette autrice hors norme et hors genre, la fiction est à la fois instrument politique, territoire d’exploration et lieu de rencontre. Elle semble n’avoir eu aucune difficulté à se glisser dans la peau de Karel: " Rien de ce qui est humain ne m’est étranger", fait-elle remarquer.
S'affranchir de sa famille biologique
Son utilisation de la chanson populaire, dont les titres peuvent être mis en exergue des chapitres ou dont les couplets peuvent être intégrés au texte, inscrivent les personnages dans une mémoire collective et une trajectoire universelle. Surtout, ce roman est, comme les précédents, une incitation à refuser les assignations et les déterminismes.
Ainsi Karel, devenu jeune adulte, déclare: "Il est temps d’en finir avec les héritages, les successions, les patrimoines. Temps d’en finir aussi avec la biologie qui ferait de moi le fils de mon père". Chez Bayamack-Tam, l’être humain est invité à ne pas se laisser enfermer dans une identité et à choisir ce qu’il veut devenir pour construire sa vie: "Pourquoi ne pas s’affranchir de sa famille biologique si on en a envie", remarque-t-elle.
Sylvie Tanette/aq
Rebecca Lighieri, "Il est des hommes qui se perdront toujours". POL.
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