Au centre de ce roman pas encore traduit en français, Giulia, dernière d'une fratrie de cinq garçons vivant à la montagne. Suite à une dispute avec l'un d'eux, elle avale des cachets avant de sauter dans sa voiture. Tentative de suicide que le personnel de l'hôpital psychiatrique de Mendrisio refuse d'expliquer simplement par le stress des examens universitaires. Entre crises personnelles et changements sociaux, Doris Femminis (c'est son vrai nom) brosse un portrait contrasté de son Tessin natal sur plus d'un demi-siècle.
Deux mondes distincts
Le fossé des générations, l'auteure le connaît: elle a passé des mois à l'alpage avec sa grand-mère, dans "des conditions du Moyen Âge", avant de partir pour la ville – Genève – approfondir sa formation d'infirmière en psychiatrie. "Fuori per sempre" (dehors pour toujours) raconte le choc entre des mentalités et des personnalités radicalement différentes.
Pour décrire ces frictions, Doris Femminis puise autant dans son rapport intime aux éléments – la forêt, la neige et les animaux – que dans son vécu de soignante auprès des maltraités de la vie.
Ambivalence
Son héroïne passe de la révolte contre son internement à la crainte de sa sortie, revirement que la Tessinoise a souvent constaté chez les patients. "Pas facile au début de travailler sur ce qui a provoqué la crise menant à leur hospitalisation, affirme l'auteure, mais pas facile non plus de quitter un entourage bienveillant pour se retrouver dans la jungle du monde extérieur".
Entre fugues et périodes de prostration, entre colloques et randonnées, "Fuori per sempre" fait graviter une série de personnages autour de Giulia, pour la plupart féminins. Il y a Annalisa, enfermée dans son monde, Alex, en guerre contre une société intolérante, Carmela, la mère de Giulia, dépressive mais incapable de comprendre les choix de sa fille. Des hommes aussi, prisonniers de leur éducation ou réticents à assumer leur différence.
Comme Pinocchio
Pour faire entendre toutes ces voix, Doris Femminis alterne les registres: celui des soignants, précis et professionnel. Celui d'une psychotique, primitif et irrationnel. Celui du garde forestier, simple et factuel. Enfin celui de Giulia, lyrique ou intellectuel.
Plusieurs personnages sont inspirés de proches de l'auteure, d'autres sont complètement fictifs, c'est à eux que le livre doit sa forme. Doris Femminis se perçoit comme une sorte de Gepetto: "aussi réussie que soit la marionnette qu'on a sculptée, si elle ne s'anime pas, c'est raté. Il faut qu'elle devienne Pinocchio". De Carlo Collodi à Doris Femminis, de Florence au Val Bavona, il n’y a guère qu'un siècle et demi et quelques centaines de kilomètres.
Geneviève Bridel/aq
Doris Femminis sur le site des Journées littéraires de Soleure
Doris Femminis, "Fuori per sempre" (en italien, non traduit pour l'instant), Edition Marcos y Marcos
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