C'est la deuxième fois que l'écrivaine française Sophie Divry - auteure de sept ouvrages exigeants tous encensés par la critique, et publiée presque depuis ses débuts par la maison d'édition helvétique Noir sur Blanc dans la collection Notabilia - est invitée par les Journées Littéraires de Soleure. Et c'est la deuxième fois qu'elle n'y participera pas "réellement".
La première fois, un conflit d'agenda fut la cause de son absence. La deuxième, c'est le monde entier qui se retrouve confiné dans l'espoir d'éradiquer un virus inédit. Une pandémie qui oblige le festival à innover et à se dérouler virtuellement. Sophie Divry n'y participera pas en "live" mais l'écrivaine, originaire de Montpellier et résidant actuellement à Lyon, a quand même tenu à présenter au public deux inédits.
"Trois fois la fin du monde"
Le premier consiste en une interview très fournie, vivante et remplie de liens "hypertextes" que l'auteure a réalisé autour de son dernier roman publié en 2018 "Trois fois la fin du monde". Sophie Divry y dévoile aussi ses influences: les écrivains et les univers qui l'ont inspirée, offrant ainsi la possibilité au public de "cliquer" sur les noms des livres et des auteurs cités afin d'en découvrir l'univers.
Au-delà de sa qualité littéraire, ce roman "Trois fois la fin du monde" trouve en cette période de pandémie une étrange résonance. C'est un roman qui emmène le lecteur hors du monde, tel qu'on le connaît habituellement. Hors du monde social, loin de l'aliénation des conventions. Il raconte l'histoire d'un homme Joseph Kamal qui, au début du roman, est en prison. Survient alors ce que l'auteure nomme dans son livre, "La Catastrophe": une catastrophe dont le lecteur ne sait rien, si ce n'est que la majeure partie des hommes est balayée de la surface de la planète. Ce qui permettra à Joseph Kamal de s'enfuir de la prison puis de vivre au milieu de la nature. Le fugitif devient ainsi une sorte de Robinson Crusoé moderne, isolé et définitivement seul, mais cette fois au milieu des champs. Ses seules fréquentations se résument à un mouton et un chat.
Résonance étrange donc de ce texte avec le contexte de confinement qui vient de s'achever. Une expérience à la "Joseph Kamal" que l'écrivaine s'étonne d'avoir vécue à rebours. "Heureusement que j'ai écrit ce roman bien avant tout cela, confie Sophie Divry, parce que maintenant que j'ai vécu une expérience de solitude assez proche de celle de mon héros, je serais incapable d'écrire là-dessus. Ce serait, d'une certaine façon, trop traumatisant. C'est vrai que lorsque je me suis surprise à compter les jours, à chercher à me sentir utile alors que j'étais seule, à ritualiser mes journées... j'avais parfois l'impression de vivre comme mon personnage."
Lire et écrire sous le confinement
Le deuxième texte inédit que Sophie Divry présente aux lecteurs des Journées Littéraires de Soleure est une brève lettre, une adresse intime intitulée "Lire et écrire sous le confinement". Elle y confie le choc qu'elle a ressenti face à ce "temps sévère", son désarroi face à la privation des libertés et face à la peur. Un temps sévère où le lien social, pourtant si précieux, est interdit. "En quatre jours, la société a été en quelque sorte détruite, décrit-elle. Et nous attentions tous le moment où nous pourrions retourner au café, voir des enfants dans les rues allant à l'école... L'homme est définitivement, comme le disait Karl Marx, un être social."
Le vivre ensemble, si cher à Sophie Divry, est un thème qui traverse d'une certaine façon tous ses romans, comme elle le confie dans un sourire: "Toute mon œuvre porte un peu sur ces questions-là, comment vivre avec les autres, comment vivre tout seul... Ou plutôt: c'est insupportable de vivre tout seul, mais c'est aussi très pénible de vivre avec les autres, alors comment fait-on?"
Dans ce texte, Sophie Divry confie aussi l'incapacité quasi totale d'écrire et de lire face à laquelle elle s'est retrouvée durant cette période. "Pour écrire il faut un certain allant. Ne pas être dévorée par la situation. Or, j'ai été dévorée. J'ai été comme tous, obsédée par l'épidémie, la situation liberticide, la solitude..."
Linn Levy/aq
Sophie Divry, "Trois fois la fin du monde", Ed. Noir sur Blanc, coll. Notabilia et un texte inédit "Lire et écrire sous le confinement", publié à Soleure
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