Historien et chercheur, spécialiste de l'Indonésie, Romain Bertrand poursuit avec son dernier récit "Qui a fait le tour de quoi? L'affaire Magellan", paru chez Verdier, le questionnement de l'histoire "connectée": ce courant de recherche qui croise les sources des peuples conquérants et conquis. Car les Grandes Découvertes des XVe et XVIe siècles initiées par Christophe Colomb en 1492 ne mettent en scène qu'une dramaturgie trop flatteuse de l'Occident.
Taiseux et distant
Fernão de Magalhães, plus connu sous son nom francisé de Fernand de Magellan, naquit au nord du Portugal en 1480 dans une famille de petite noblesse. Sa biographie lacunaire indique qu'il s'engagea comme soldat une dizaine d'années au service du roi Manuel Ier de Portugal, notamment à la bataille d’Azemmour en Afrique du Nord où il perdit l'usage de sa jambe droite, ce qui ne fut pas sans conséquence par la suite. Cette expérience militaire a endurci cet homme taciturne, de petite taille, bien loin du portrait idéal d'un conquistador.
Froissé par l'indifférence du roi à le dédommager à la suite de la perte de sa monture, il passa au service du monarque concurrent dans la course aux épices, Charles Ier d'Espagne, futur empereur Charles-Quint. Bien que les deux couronnes aient conclu le Traité de Tordesillas pour se partager les territoires au-delà des océans, Magellan fut reconnu "traître à sa patrie".
En 1519, il dirigea la flotte de cinq nefs espagnoles avec 242 marins en partance pour les Indes par la Mer des Ténèbres (Atlantique) puis descendit le long des côtes de l'Argentine jusqu'en Patagonie à la recherche d'un chenal qui raccourcirait le voyage vers les Indes par l'Ouest sur le Pacifique.
En décembre 1520, la découverte majeure du détroit qui porte depuis son nom a changé la circumnavigation du globe. L'arrivée aux Philippines semblait propice aux désirs de ces "marchands" d'épices, poivre, muscade, girofle, volontiers portés à la canonnière pour soumettre, piller et surtout ne rien comprendre aux autres cultures qu'ils jugeaient trop confuses.
Un esprit à angle droit
La chrétienté de la fin du Moyen Âge et de la Renaissance a favorisé une pensée du classement, des catégories du savoir, en excluant les pratiques exotiques, rejetées comme inhumaines, voire démoniaques. Choc des cultures qui a mésestimé dans l'Insulinde la première mondialisation, le commerce des peuples avec la Chine depuis des siècles entre les îles Célèbes et Moluques.
Seul Enrique, l'esclave de Magellan, ramené lors d'une précédente expédition, parlant le malais, a pu de fait entrer en contact avec les rois insulaires. C’est en voulant venger l’un d’eux que Magellan perdit la vie en 1521 lors d’une embuscade, sa jambe droite n'ayant pu le soutenir. Alors qui est le véritable héros de cette aventure vantée par l'Occident? Pas sa figure de proue qui n’a jamais pu revenir au bercail de Séville, mais bien Enrique, sans doute le premier homme à avoir réussi le tour du globe.
Car les pages blanches des voyages ont rapetissé les récits fondateurs de la Modernité. Faire le tour du globe n’est pas faire le tour des mondes, les intégrer dans des échanges respectueux, les seuls qui auraient pu changer l’histoire de la Conquête, sanglante, méprisante et, à bien des égards, humainement ratée.
Christian Ciocca/aq
Romain Bertrand, "Qui a fait le tour de quoi ? L’affaire Magellan", Verdier, 2020
Également : Romain Bertrand : "L'exploration du monde. Une autre histoire des Grandes Découvertes" (dir.), coll. L'Univers historique, Seuil, 2019
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