Lesbos, théâtre d’un roman-reportage autour de la migration

Depuis le début de la pandémie et le confinement qui s’en est suivi, la question des migrants semble avoir disparu des préoccupations médiatiques. Le livre de Thomas Epitaux-Fallot vient rappeler que la Méditerranée est toujours le théâtre d’innombrables drames de la migration.

Destins croisés

A l’origine de ce livre, il y a une rencontre que le journaliste romand, amoureux de la Grèce, a faite avec un jeune Ivoirien vivant dans un camp de Lesbos alors que celui-ci attendait un éventuel passage sur le continent. "Nous étions très différents, mais en parlant avec Illias j’ai réalisé que nous étions là pour les mêmes raisons: devenir quelqu’un. Pour lui, ce désir passait par un exil au Nord, pour moi par une carrière de journaliste indépendant éventuellement au Sud", confie avec sincérité Thomas Epitaux-Fallot.

Ce livre est donc une histoire de désir et de tentative d’accomplissement que l’auteur considère comme un roman-reportage.

Roman aux qualités littéraires indéniables. Les deux protagonistes en sont Illias, le migrant, et Benjamin, alter ego de l’auteur. Autour d’eux gravite une poignée de personnages: journalistes, migrants, politiques et volontaires au service d’ONG. En alternance, le faisceau narratif se resserre sur l’un d’eux. Cette multiplicité de regards portés sur une même réalité donne ainsi un relief bienvenu à une situation politique, sociale et humaine extrêmement complexe.

Les personnages inspirés de personnes réelles ont pris peu à peu leur autonomie et sont devenus fictionnels. En cela, c’est un roman. Mais un roman très documenté, comme une leçon de rattrapage pour ceux qui n’auraient pas suivi les événements.

Comprendre l'ampleur du drame humain

Les nombreuses informations factuelles et chiffrées, elles, ne relèvent pas de la fiction. L’auteur s’est appliqué à insérer dans son roman de nombreux faits objectifs et vérifiés permettant de mieux comprendre l’ampleur du drame humain qui se joue avec encore plus d’acuité depuis l’accord entre l’Union européenne et la Turquie signé en 2016.

Comment faire pour rapporter la misère? (…) Comment faire pour que le téléspectateur prenne conscience de la situation? Que faut-il dire, que faut-il taire?

Sous le couvert de la fiction documentaire, Thomas Epitaux-Fallot livre une réflexion parfois cinglante sur la réalité du journalisme de terrain. Et révèle la concurrence acharnée entre les reporters indépendants qui ont trouvé en Grèce un "terrain de jeu" idéal pour soigner leur notoriété à travers les réseaux sociaux. Cela passe par une recherche constante de l’image-choc ou de la "story" qui suscitera des dizaines de milliers de clics. Selon l’auteur, aujourd’hui, les aspirants journalistes n’apprennent plus à approfondir leur sujet mais à raconter une histoire percutante en commençant chaque article par le fameux "Il était une fois…".

A l’école de journalisme (…) il lui avait fallu de nombreuses séances pour piger le truc: pour convaincre, il faut divertir.

Un livre publié en autoédition

Raconter une histoire, divertir en informant son lecteur, telle est pourtant bien la vertu de ce premier roman publié en autoédition. Sur la page de garde figure une mention en forme de label: "Promotion garantie sans réseaux sociaux".

Courageux de la part du trentenaire qui, dans ses pages, dénonce la violence des propos sans nuances si fréquente sur ce genre de plateformes de partage. Téméraire même car, en l’absence d’éditeur et donc de moyens promotionnels conséquents, il ne peut compter que sur un bouche-à-oreille favorable.

Qu’à cela ne tienne, Thomas Epitaux-Fallot a pris goût à l’écriture de fiction. Il imagine déjà écrire deux autres livres qui formeront avec celui-ci un triptyque. Le deuxième sera situé à Athènes, le troisième dans un pays d’accueil.

D’ici là, le jeune Ivoirien Illias, devenu personnage de papier, sera peut-être parvenu à ses fins: devenir quelqu’un. Au Nord.

Jean-Marie Félix/aq

Thomas Epitaux-Fallot, "Flammes sur #Lesbos", Autoédition.

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