Un fauteuil jaune canari. C’est là qu’Arthur Billerey reçoit le visiteur dans son appartement veveysan situé à deux pas de la gare. Ce fauteuil constitue le décor unique de sa chaîne numérique et littéraire lancée pendant les semaines de confinement. Sur le mode joueur, on l’appellera "Trousp" (cherchez l’anagramme !).
Comptes-rendus critiques, entretiens littéraires, "questionnaire de Trousp", cette plate-forme encore embryonnaire repose sur la volonté de faire connaître loin à la ronde la richesse de la scène littéraire romande et ses liens avec la sphère francophone. Cela de façon plus incarnée, plus agile.
Une revue arrivée à maturité
Dans un même esprit, Arthur Billerey a fondé avec quelques complices "La Cinquième saison". Une revue thématique publiée sur papier quatre fois par année. A l’origine du projet, un constat morose porté sur l’état de la presse. "En 2017, à la suite de la disparition de L’Hebdo, nous nous sommes réunis avec des écrivains et des éditeurs pour essayer de mettre en avant la littérature et de recréer quelque chose capable de combler un manque", déclare, la mine sérieuse, Arthur Billerey.
Trois ans plus tard, la revue est parvenue à maturité avec un équipe rédactionnelle renouvelée au sein d’une petite structure associative. Chaque livraison est tirée à mille exemplaires, disponibles en librairie et sur abonnement. Un joli succès et une renommée croissante dus notamment au soin apporté au graphisme et à l’objet livre.
La poésie, du fait de sa singularité, nous délivre de la pensée dominante ou de la pensée des foules. (…) Si la littérature démultiplie l’existence, la poésie démultiplie nos visions. Et voir au-delà du visible, c’est tout de même ce qui nous différencie du pangolin ou de la truie.
"Passage du poème"
Le 11e numéro de "La Cinquième saison" est sous-titré "Passage du poème". S’il n’est pas interdit d’y voir un clin d’œil à Ramuz, la formule célèbre ceux qui se font les passeurs de poésie. En tant que coresponsable d’une collection poétique aux éditions de L’Aire, Arthur Billerey plaide en faveur d’une poésie qui réinvestirait l’espace public. Car selon lui, un vers vibre autant sur un papier de fortune, sur un mur, un écran ou un corps. Démultiplication du champ des possibles.
Même son de voix chez Jean-Pierre Siméon, poète lui-même et éditeur chez Gallimard, lorsqu’il affirme que "publier de la poésie, c’est rendre publique la parole de ceux qui dans leur œuvre et dans leur vie témoignent de cette autre façon d’habiter le monde". Ou chez Bruno Doucey, fondateur des éditions qui portent son nom: "L’éditeur ne fait pas autre chose qu’amplifier le geste du poète, transformant la forme privée d’une utopie en force collective. (…) Le poème, comme antidote à tout enfermement".
Rassembleur, introspectif et généreux, résistant face à l’ignominie, pourvoyeur de sens, ce sont tous ces aspects de la poésie que l’écrivain romand Olivier Beetschen célèbre en quelques vers sensibles. Son poème figure dans une partie de "La Cinquième saison" où sont recueillies des paroles de lecteurs.
Pourquoi éditer de la poésie? Pourquoi lire de la poésie? On regrettera que la question n’ait pas été adressée aux poètes eux-mêmes: pourquoi écrire de la poésie? "C’est un oubli qui brise le cœur de la rédaction. On y a pensé seulement après coup", répond dans un élan de sincérité Arthur Billerey.
Gageons que dorénavant les poètes se succéderont dans le fauteuil jaune canari de "Trousp". Pour rattraper la boulette.
Jean-Marie Félix/aq
"La Cinquième saison", revue littéraire romande.
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