Pour la première fois, Enki Bilal signe un livre où il y a plus de texte que de dessin. Celui qui s’est d’abord fait connaître dans les années 1980 comme un exceptionnel auteur de BD, avec des romans graphiques comme "La femme piège", puis comme réalisateur et plasticien, nous convie aujourd’hui dans un court récit à partager ses angoisses et ses obsessions.
Invité de la collection des éditions Stock "Ma nuit au musée" - qui comme son nom l’indique propose à une personnalité de passer une nuit seule dans un musée - Bilal raconte les heures où il a déambulé dans le Musée Picasso, à Paris, et où il imagine le peintre de "Guernica" surpris en plein travail de création.
Echanger avec les autres créateurs
Ce texte est surprenant par ce qu’il raconte d’Enki Bilal. Ce n’est pas la première fois que l’auteur se retrouve dans un musée, il a même été invité par le Louvre il y a quelques mois pour une exposition, "Les fantômes du Louvre", dans laquelle il revisitait certains tableaux. On lit ici son intérêt pour le travail des autres, son désir d’instaurer un dialogue et des échanges avec d’autres créateurs. "J’ai le sentiment d’appartenir à une longue lignée, dont le point de départ a été donné dans les grottes rupestres par nos grands ancêtres, artistes absolument géniaux qui me fascinent toujours", confie-t-il en interview.
L’actualité et l’Histoire qui travaillent les artistes et les secouent… il faut mêler les événements, chercher leur sens dans la profondeur du temps.
Une oeuvre marquée par l'Histoire
"Nu avec Picasso" débute sur une vision d’horreur. Enfermé dans le musée, Enki Bilal se sent menacé et ne voit dans les tableaux qui l’entourent que guerre, larmes, violence. C’est ici que se trouve le point de rencontre entre Picasso et l’auteur du "Sommeil du monstre".
Né à Belgrade dans la Yougoslavie de Tito, qu’il a quittée à l’âge de dix ans lorsque ses parents ont décidé de s’installer en France, Enki Bilal a construit une œuvre tout entière marquée par l’Histoire, celle de la Deuxième Guerre mondiale, du fascisme, de l’URSS, des révolutions et des dictatures.
C’est la conjugaison du passé et du présent qui permet d’imaginer le futur.
Dans la rencontre de différentes époques, de différents moments de l’Histoire, Enki Bilal a su trouver un style, imaginant des villes du futur empreintes des traces du passé. Son monde futuriste curieusement décrépit résulte d’une façon très particulière de travailler la mémoire collective, pour construire un univers très personnel et très noir, une ambiance que l’on retrouve dans ce texte aujourd’hui, où il s’imagine croiser le temps d’une nuit Picasso et Goya.
Dans ce travail perpétuel où passé, futur et présent se rencontrent, souvent Enki Bilal a semblé visionnaire. Son album "Partie de chasse" dessinait avant la date l’effondrement de l’URSS. Son "Nu avec Picasso" raconte le confinement d’un artiste, seul et égaré dans la nuit d’un musée.
Sylvie Tanette/aq
Enki Bilal. "Nu avec Picasso". Stock collection Ma nuit au musée
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