Quatre hommes qui ne se connaissent pas se retrouvent prisonniers dans une grotte des Moulins souterrains du col des Roches. Menacée par l’eau de pluie qui s’est infiltrée, leur vie ne tient qu’à l’aveu qu’ils doivent faire à leur bourreau: qui a enlevé et assassiné la mère et l’enfant de Tanja Stokjaj? Avec "L’engrenage du mal", Nicolas Feuz signe un roman d’enfermement vengeur, sombre et efficace.
Une justice aveugle?
Tandis que la canicule écrase hommes et bêtes sous sa moiteur, la montagne se met à vomir des cadavres et l’eau du Doubs se teinte de sang. Enquêteurs, légistes et procureur se ruent sur place. Que faisaient ces hommes dans cette grotte? Qui les a enfermés là? Très vite, les soupçons pointent sur une inspectrice fédérale, Tanja Stojkaj. Elle a perdu tragiquement sa mère et son fils. La voilà face à la justice, tenue de rendre des comptes à ses amis, le procureur Jemsen et sa greffière Flavie Keller.
Son procès, sous la neige chaux-de-fonnière, nous permet de remonter le fil des événements. Car comment et pourquoi une inspectrice fédérale se retrouve-t-elle dans cette posture, accusée de meurtre? Est-ce que la vengeance lui aurait fait perdre toute notion de justice? Ou celle-ci est-elle aussi aveugle qu’on veut bien le dire?
Montrer le travail judiciaire
Nicolas Feuz souhaitait pour ce roman travailler ses personnages plus en profondeur, explorer leurs noirceurs comme leurs lumières. Il s’attache cette fois aux pas de Tanja et ne la lâche plus. Elle se révèle fragile, heurtée, brisée.
L’auteur la soumet au pire, lui fait perdre son fils et se demande ensuite jusqu’où peut aller une mère qui a perdu un enfant. L’autre envie de l’auteur, procureur de la République du canton de Neuchâtel, était de montrer le travail du judiciaire, son quotidien à lui, avec ses implications, ses rouages, sa technicité, éléments finalement peu connus du grand public.
Je n’avais jamais fait de huis clos, ni de thriller judiciaire et j’avais envie d’explorer ça.
Une écriture en forme d'exutoire
Ainsi Tanja fait face à la justice. Petite femme ballotée, malmenée, tant par la vie que par ses pairs et dont on ne connaîtra qu’à la fin du roman l’implication ou pas dans l’élèvement et la séquestration de ces quatre hommes.
S’amusant des codes du roman policier, Nicolas Feuz nous balade entre passé et présent, neige et canicule, entre le haut et le bas du canton de Neuchâtel, son terrain de jeu favori. Il a besoin de cette géographie, d’ancrer ses histoires dans le terrain, de s’accrocher à la réalité du travail de la police et de la justice. Des cadavres, il les décrit avec facilité, sauf l’enfant dont on ne retrouve que des litres de sang. Les morts, il les côtoie, il en voit régulièrement. Son écriture devient son exutoire.
Comme procureur on a la chance d’arriver en deuxième, voire en troisième ligne, on n’est pas au front comme le sont les gendarmes et on nous prépare déjà psychologiquement en nous décrivant la scène.
Véritable "page-turner"
Nicolas Feuz progresse, invente, se renouvelle. Cela fait dix ans que le procureur est devenu auteur. Il écrit tous les jours, deux, trois heures. Meurtres, crime et larcins ensanglantent ses pages. Il n’est pas un sadique mais il avoue, en littérature précise-t-il, un certain goût pour la mort.
Il a même inventé ce printemps 2020 un virus mortel et publié un polar du confinement qu’il a offert à ses lecteurs via sa page Facebook. Le roman "Restez chez vous" est à présent publié par son éditeur en même temps que "L’Engrenage du mal".
Reste ce polar, roman à la noirceur épaisse, véritable "page-turner" helvète. Décidément, Nicolas Feuz sait comment s’y prendre pour nous faire retenir notre souffle, ce qui vaut mieux quand l’eau envahit les grottes des Moulins souterrains.
Catherine Fattebert/aq
Nicolas Feuz, "L’engrenage du mal", Ed. Slatkine & Cie.
Vous aimez lire? Abonnez-vous à QWERTZ et recevez chaque vendredi cette newsletter consacrée à l'actualité du livre préparée par RTS Culture.