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Rire des chantiers problématiques avec l'écrivain Jean-Paul Dubois

L'écrivain français Jean-Paul Dubois en 2011. [AFP - Ulf Andersen]
Tragicomique / Vertigo / 6 min. / le 31 juillet 2020
"Vous plaisantez, monsieur Tanner" décrit la pénible expérience vécue par l'héritier d'un manoir à retaper. Immersion désopilante dans l'univers impitoyable des professionnels du bâtiment pour le premier volet de cette série d'été intitulée "Drôle de livres".

C'est sans doute le plus autobiographique des romans de Jean-Paul Dubois, Prix Goncourt 2019 pour "Tous les hommes n'habitent pas le monde de la même façon": le récit du cauchemar que vit un propriétaire décidé à rénover une grande bâtisse dont il dira a posteriori que: "n'importe qui doté d'un peu de raison aurait vu entre ces murs un paquebot de soucis, un porte-avions d'emmerdements"".

"Talents approximatifs et délais élastiques"

Devant les devis astronomiques que lui soumettent les maîtres d'œuvre, Monsieur Tanner se résigne à recruter des professionnels au noir et découvre avec un ahurissement qui caractérise les héros de Jean-Paul Dubois, l'incompétence, l'incurie, voire la folie dont font preuve certains ouvriers du bâtiment.

Des couvreurs qui débarquent chez lui sans échelle, parce que "tout le monde a une échelle", un électricien russe qui teste le courant avec la langue sous la protection de Dieu: la ressemblance entre les personnages décrits par Dubois et des personnes ayant réellement existé ne peut pas être "purement fortuite". Propriétaire ou locataire, chacun a eu affaire un jour à ces professionnels du bâtiment overbookés, hautains et surtout muets sur les détails de leur travail.

Goujaterie et malhonnêteté

Monsieur Tanner – qui a pris six mois de congé pour suivre son chantier – croisera tout de même quelques rares pros corrects (comme ce plombier qui, humilié par une fuite due à une soudure trop fragile, ne lui enverra jamais sa facture) mais ces exceptions ne suffiront pas à démentir l'impression générale de négligence et d’indélicatesse que lui laisseront les ouvriers rencontrés. Tel ce couvreur qu'il a viré pour incompétence et qu'il soupçonne du vol nocturne de tous ses outils. Cet incident n’affecte pas uniquement Monsieur Tanner en raison de la valeur affective de ces outils, qu'il tient de son père; il provoque une réaction dont il n’est pas fier: "A force d'accumuler les embrouilles, de me pousser à bout, cette canaille avait fait de moi un imbécile capable de se rendre malade pour des choses secondaires."

De l'écrit à l'écran

On a oublié que "Vous plaisantez, monsieur Tanner", publié en 2004, a donné en 2010 un film au titre modifié: "En chantier, Monsieur Tanner", réalisé par le Belge Stefan Liberski avec Jean-Paul Rouve dans le rôle principal, et notamment Benoît Poelvoorde et Virginie Efira.

Sans doute parce qu'il est difficile de faire entendre au cinéma la petite musique de cet auteur obsédé par le suicide, les dentistes, les vieilles voitures, les ascenseurs, le prénom Paul, et les tondeuses à gazon. Grand reporter pour le Nouvel Observateur, fin connaisseur de l’Amérique, ce Toulousain discret aime le travail bien fait, en écriture comme en bricolage. Il ne plaisante pas avec le style, Monsieur Dubois.

Geneviève Bridel/olhor

Jean-Paul Dubois, "Vous plaisantez, monsieur Tanner", Ed. de l'Olivier, 2004

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