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"Les nuits d'été", une jeunesse en nage contre la machine

Thomas Flahaut. [editionsdelolivier.fr - Patrice-Normand]
Entretien avec Thomas Flahaut, auteur du roman "Les nuits d'été" / QWERTZ / 40 min. / le 24 août 2020
Révélé en 2017 par "Ostwald", le jeune auteur français Thomas Flahaut explore dans "Les nuits d’été", son deuxième roman, l'univers harassant du travail de nuit dans une usine du pied du Jura.

On entre dans ce roman par les narines. L'odeur âcre de l'usine, "fer brûlé et plastique fondu", prend à la gorge, avant que le récit ne nous la noue. Car la nuit qu'on y hume, peuplée d'opérateurs muets et de machines criardes, est une nuit sans lune, sans rêve, sans issue. Les ténèbres d'une classe ouvrière sur laquelle n'a jamais ruisselé que la sueur.

Un "Jules et Jim" prolétaire

Né à Montbéliard, diplômé de l'Institut littéraire de Bienne, Thomas Flahaut connaît par coeur cette région frontalière adossée aux flancs du Jura, veinée par les méandres du Doubs. C'est là, entre patelins imaginaires et chefs-lieux officiels qu'il précipite les personnages de son deuxième roman, "Les nuits d'été". Un trio jeune et fraternel, sorte de "Jules et Jim" du prolétariat moribond.

Il y a là Thomas, incapable d'avouer à ses "darons", ses parents, l'abandon par K.O. de sa vie d'étudiant. Dans l'usine Lacombe, la même où son père s'est tanné la peau, il rejoint Mehdi, son ami d'enfance à la moto véloce. Et puis il y a Louise, soeur de Thomas qui s'éprend de Mehdi et prépare une thèse sur le monde ouvrier. Le temps d'un été moite aux nuits plus actives que les jours, ce faux triangle amoureux s'éprouve et s'étourdit.

Thomas, lui aussi, tire le fil d’une vie qui l’a mené ici, à s’engager dans un combat contre la machine qu’il est en passe de gagner, s’apprêtant à lui rendre au centuple toute la fatigue, toute la douleur qu’elle lui a causées au long du mois.

Thomas Flahaut, extrait de "Les nuits d’été"
La couverture du livre "Les nuits d'été" de Thomas Flahaut. [Editions de l'Olivier]
La couverture du livre "Les nuits d'été" de Thomas Flahaut. [Editions de l'Olivier]

Si le portrait de cette jeunesse ardente n'est pas sans rappeler l'univers de "Leurs enfants après eux" de Nicolas Mathieu (Prix Goncourt 2018), le monde décrit par Thomas Flahaut bat de sa propre pulsation. Comme hanté par la menace d'un effondrement plus vaste, tel celui qu'anticipait son premier roman de 2017, "Ostwald" (Ed. de l'Olivier). Bientôt, l'usine où travaille Thomas est mise en pièces, son démontage accompagnant la dissolution progressive du trio et l'épuisement des ressources de leurs corps.

Une écriture charnelle

En équilibre sur cette ligne de partage entre le jour et la nuit, l'adolescence et l'âge adulte, le temps des vacances et le temps du labeur, orchestrant un va-et-vient constant de part et d'autre de la frontière franco-suisse, le récit de ces "Nuits d'été" doit son charme singulier à la sobriété d'une écriture précise et charnelle. Thomas Flahaut vient de là, de ce territoire, de ce monde ouvrier: sa prose embrasse les mots des rappeurs de son temps, les mots rares des exclus. Par fidélité, avant tout, à ceux qui n'ont pas la chance qu'il a aujourd'hui de pouvoir écrire ce monde, et ne plus le subir.

Nicolas Julliard/aq

Thomas Flahaut, "Les nuits d’été", Ed. de l’Olivier

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