Amélie Nothomb écrit tous les jours de sa vie, sans exception. Selon ses propres aveux, elle vient de terminer son 100e livre. Mais c'est le 29e, "Les Aérostats" qu'elle publie aujourd'hui chez son éditeur historique Albin Michel. Pourquoi celui-ci plutôt qu'un des 80 autres manuscrits en attente dans ses tiroirs? "Il était difficile de trouver un successeur à "Soif" (ndlr: qui a frôlé le prix Goncourt) qui raconte la passion du Christ à la première personne du singulier. Après ce livre terrible, il fallait quelque chose de léger, au caractère possible, très étranger au précédent", explique la facétieuse Amélie Nothomb à la RTS.
Légers comme le sont les aérostats du titre, ces aéronefs dont la sustentation est due à un gaz plus léger que l'air, mais aussi grandement inflammable.
En partie autobiographique
"Les Aérostats" raconte l'histoire d'Ange, 19 ans, étudiante en philologie, et de Pie, un lycéen de 16 ans dyslexique, un garçon malheureux, lesté d'un père banquier tyrannique et très intrusif qui "se croit proche du réel parce qu'il gagne beaucoup d'argent".
A la suite d'une petite annonce, la première va donner des cours de littérature au second en lui faisant lire des textes de grands auteurs classiques. Pour la première fois, l'action se situe à Bruxelles, offrant au récit des contours autobiographiques à peine déguisés. "Ange, c'est moi! A 19 ans, j'étais sérieuse comme un pape, sans ami et sans jeunesse, mais avec la passion des livres. La jeunesse est un talent, il faut des années pour l'acquérir".
Sauvée de l'anorexie
Ce n'est pas un secret pour ses fans, Amélie Nothomb a été sauvée de son anorexie grâce à la bibliothèque familiale.
Entre 10 et 12 ans, je n'étais rien. Ce sont les livres qui m'ont permis de me reconstruire. Ce qui me tient lieu de corps, je l'ai bâti avec la lecture de grands classiques.
Parmi les oeuvres qui ont le plus compté dans sa vie d'adolescente, il y a "L'Iliade" d'Homère qu'elle s'était mis en tête de retraduire à 15 ans, mais aussi "La Métamorphose" de Kafka, "La Princesse de Clèves" de Madame de La Fayette, "Le Rouge et le Noir" de Stendhal, "Le Bal du comte d'Orgel" de Radiguet, autant de livres qu'Ange fait découvrir à Pie. "Je trouve terrible que certains enseignants renoncent à faire lire des classiques à leurs élèves parce que ce serait au-dessus de leurs moyens. C'est du mépris, de la complaisance".
Les bonnes mauvaises lectures
Bien sûr, et c'est aussi le sujet des "Aérostats", la lecture peut également vous perdre, vous tromper, vous égarer. Il s'en est fallu de peu pour que "Les Jeunes Filles" de Montherlant abîme la jeune Amélie dans son adolescence. "Je l'ai lu une centaine de fois et cela a développé en moi une conception paranoïaque de la féminité au moment même où je devenais une femme. C'est un livre très cruel, plein de vacheries. Certains disent qu'il est daté, je ne le crois pas, toutes les femmes peuvent tomber dans le piège de la victimisation", dit l'autrice belge qui estime que les livres qui aident à vivre ne sont pas forcément bienveillants, ils peuvent être très sombres, avec des personnages détestables. "La littérature n'est pas l'art du bien. Elle est une ouverture radicale à l'autre", aime-t-elle répéter.
Des manifestes plus que des romans
C'est d'ailleurs un des thèmes des "Aérostats", véritable initiation à la lecture et à la littérature, un livre escargot, aux multiples mises en abyme. Mais pour donner envie, Amélie Nothomb n'a pas besoin de faire long. La plupart de ses livres ont le même format, environ 180 pages. Une brièveté héritée de ses années passées au Japon? "C'est le format qui leur convient. Mes livres sont plus des manifestes que des romans".
Et sinon? A part écrire, d'autres ambitions? Amélie Nothomb hésite, sourit, réfléchit et se dit qu'elle aimerait bien donner son nom à un grand cru de Champagne, un de ses plus grands plaisirs dans la vie étant d'en boire.
Propos recueillis par Pierre Philippe Cadert
Adaptation web: Marie-Claude Martin