Christophe GallaZ et Michel ThévoZ, penzées croizées en Z

Commensaux et amis, l’ancien conservateur de la Collection de l’Art Brut à Lausanne, Michel Thévoz, et son alter ego chroniqueur dans Le Matin Dimanche, auteur et poète, Christophe Gallaz, sont passés dans leur essai "Z/Z" aux Éditions de L’Aire des propos de table aux échanges écrits. Et de haut vol, car les deux compères n’ont pas leur langue dans la poche et leur dictionnaire aux objets perdus!

La vérité est une vertu bien difficile

"Traçabilité". Ce mot est en passe de s’imposer dans le sillage du coronavirus: être tracés et repérables va-t-il s’imposer comme une fatalité? Thévoz et Gallaz ouvrent leurs réflexions sur cette idée de l’authenticité, d’un produit du terroir comme d’une entrecôte charolaise ou d’une œuvre d’art. Comment être certain d’être en présence d’un "original"? Et si le faussaire l’emportait en complexité? Car dans notre époque troublée où les fake news sont produites en série au cœur même du pouvoir, la vérité est une vertu bien difficile. Au royaume des faux-semblants, les dupes triomphent. Et nous le sommes toutes et tous, tant l’univers médiatique et numérique nous submerge.

J’y songeais l’autre jour en observant les plumes caudales d’un paon, où sont dessinés des yeux visant à plonger ses prédateurs dans un désarroi salvateur pour lui. Une stratégie vitale de l’illusion comme il s’en déploie d’innombrables au sein du vivant animal et végétal, à mettre en balance avec les stratégies lucratives et narcissiques où s’abîment nos congénères.

Éloge du répétitif

Invités à mettre sur papier leurs pensées numériques, nos ludions s’en donnent à cœur joie comme une gymnastique cérébrale qu’ils aiment à entretenir pour mieux nous faire penser. D’où leur commun éloge de la répétition, un souffle de l’esprit qui de fait se montre très communicatif. Philosopher reste pour eux une manière d’être au monde, de le comprendre en le vitupérant, mais ils préféreraient ruminer en songeant avec amour aux… vaches qu’ils estiment à raison. Elles aussi regardent passer les trains de la vie en pansant, ruminant lentement le long de leurs quatre estomacs.

En traçant des pistes naturelles - Gallaz est né dans un milieu rural en 1948 - les amis se rattachent à l’élan vital, non sans souhaiter parfois qu’un koala survive aux incendies qui ont ravagé l’Australie, mais pas cet imbécile d’homo sapiens qui les a déclenchés en se moquant de cette altérité non-humaine.

Un paon qui se réfugie dans l’amitié de ses plumes caudales, un koala d’Australie rescapé de l’incendie, un grand singe qui risque la bipédie, et maintenant un chevreuil déconcerté par la rumeur autoroutière: est-ce l’arche que tu nous prépares pour l’après-corona?

Permuter le temps

Pour Thévoz comme pour Gallaz, les peuples qualifiés de primitifs instruisent le procès de notre dernière modernité. Les Aymaras d’Amérique du Sud, descendants des Incas, pensaient que le passé se situait dans l’avenir, parce qu’on le voit, l’avenir derrière, car invisible. Voilà une permutation temporelle qui autoriserait des embellissements au lieu des défigurations architecturales qui enlaidissent nos villes, Lausanne pour contre-exemple, prise en tenaille entre le "promoteur magouilleur, l’architecte cupide et la municipalité capitularde." Dénonciations fortes, mais étayées par leur précision commune des mots et des idées, le refus du "consensus mou" qui amollit l’individu censé libre d’arbitre alors qu’il est littéralement cerné par des affects collectifs, publicitaires et moutonniers.

Pas de rancœur chez les deux Z, une ironie mordante et justifiée, parfois justicière tel le Z de Zorro tracé au bout de leur épée, mais les deux héros, eux, galopent non masqués.

Christian Ciocca/aq

Michel Thévoz, Christophe Gallaz, "Z/Z", Éditions de l’Aire.

Michel Thévoz et Christophe Gallaz sont présents à Morges (VD) dans le cadre du Livre sur les quais qui se déroule du 4 au 6 septembre

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