Alain Bagnoud a de la suite dans les idées. En 2005, il publiait un petit essai intitulé "Saint Farinet". Il y décortiquait le mythe auquel a donné vie le personnage historique apparu dans le Val de Bagnes dans la seconde moitié du 19e siècle. Quinze ans plus tard, l’auteur revient sur la figure du célèbre faux-monnayeur par le biais de la fiction. Avec toujours le même objectif: redonner une vérité historique à un personnage recouvert d’un épais vernis légendaire.
"Quand on est Valaisan, forcément on doit s’intéresser à Farinet car il nous est présenté comme un modèle incarnant toutes les vertus valaisannes", affirme d’emblée Alain Bagnoud, qui a vécu sa jeunesse à Chermignon avant de s’installer à Genève. Une prise de distance géographique salutaire pour transformer une telle injonction en création littéraire.
Le destin de son trisaïeul
A l’origine du roman, il y a une curiosité dans l’arbre généalogique de l’auteur: un arrière-arrière grand-père nommé Stéphane Besse, venu vers 1880 de son Val de Bagnes natal pour s’installer à Chermignon. A cette époque-là, Farinet disparaissait dans des conditions tout aussi mystérieuses. Ainsi, Alain Bagnoud a superposé les deux événements pour concevoir une intrigue qui lie le destin de son trisaïeul à celui de Joseph-Samuel Farinet.
C’est là, debout devant la porte ouverte de la salle sombre, qu’ils ont vu un bel homme blond, de grande taille et de belle tenue. Un étranger. Il portait beau, il faisait le fier. Une allure!
Au début du récit, Besse est un jeune homme issu d’une famille paysanne sans le sou qui voit débarquer dans son village de montagne un étranger aux allures christiques. Celui-ci affirme à qui veut l’entendre qu’il cherche des associés pour poursuivre son entreprise de faux-monnayage à la barbe des autorités. Le jeune Besse voit là la possibilité de s’émanciper de sa modeste condition et d’accéder, par la richesse et la considération sociale, à ce qu’il nomme "la vie suprême".
Mais, en guise de vie suprême, Besse connaîtra la réprobation et la disgrâce, au point qu’il sera contraint de quitter le Val de Bagnes pour aller faire sa vie plus en amont dans la vallée du Rhône.
Habiter sa réalité
Le jeune homme ressortira transformé de sa mésaventure et comprendra qu’il vaut mieux habiter sa réalité plutôt que rêver à des chimères. En cela, il sera aidé par un beau personnage féminin, une femme considérée comme une traînée parce qu’elle a connu la passion amoureuse avec un homme marié. En cela, "La vie suprême" s’inscrit dans la tradition du roman d’apprentissage.
Insoumis aux injonctions comme le sont ses personnages, Alain Bagnoud fait de Farinet un personnage ambigu à souhait: beau-parleur, manipulateur, usurpateur et séducteur, la figure s’éloigne considérablement du Robin des Bois au grand cœur campé dans le roman de C.F. Ramuz "Farinet ou la fausse monnaie".
Farinet avait aussi des côtés positifs. En tant que star de l’époque, il savait faire rêver les gens en leur insufflant une envie de changement de condition, ce qui était contraire à la résignation prêchée par l’Eglise.
Farinet n’a rien d’un saint homme au service des opprimés de son temps. Mais ce n’est pas non plus un salaud prêt à toutes les bassesses pour se tirer d’affaire. "La Vie suprême", roman fondé sur une documentation fournie, ramène le héros à une dimension humaine. Tout simplement.
Jean-Marie Félix/mh
Alain Bagnoud, "La Vie suprême", Ed. de L’Aire.
Vous aimez lire? Abonnez-vous à QWERTZ et recevez chaque vendredi cette newsletter consacrée à l'actualité du livre préparée par RTS Culture.