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Ödön von Horváth, le théâtre au bord de l'abîme

Le dramaturge Ödön von Horváth en 1919. [CC BY-SA 3.0]
Entretien avec René Zahnd, à propos de la biographie "Le théâtre de Odön von Horvàth" / QWERTZ / 32 min. / le 8 octobre 2020
Dans la collection "Le théâtre de…" qu'il dirige avec Hélène Mauler chez Ides et Calendes, René Zahnd publie une passionnante monographie du dramaturge hongrois de langue allemande Ödön von Horváth, mort accidentellement à Paris en juin 1938.

Enfant de la Mitteleuropa né à Fiume près de Trieste en 1901, von Horváth incarnait par son ascendance la quintessence de l'Empire austro-hongrois. Son patronyme signifie "croate" tant en hongrois qu'en croate et sa mère descendait de Tchèques et d'Allemands. Ballotté par la profession diplomatique de son père dans plusieurs villes européennes, le jeune Ödön parlait plusieurs langues mais a toujours revendiqué son appartenance à la culture germanique, note René Zahnd dans la passionnante monographie qu'il lui consacre.

De Munich à Berlin

Dès ses premières années, Ödön observait avec fascination ses semblables et ce sens aigu du regard a bien évidemment aiguisé son écriture. Ajoutons que sa génération, née avec le XXe siècle, a traversé la Grande Guerre, l'effondrement de l'Empire austro-hongrois, les révolutions bolchévique et spartakiste et l'humiliation de l'Allemagne en 1918.

A Munich où il avait entrepris ses études, puis à Berlin, Horváth fréquentait une jeunesse aimantée par les avant-gardes et l'expressionnisme. Terreau fertile où se mêlaient lucidité et ironie, ces ferments de la littérature Mitteleuropea que Roth, Kafka, Musil, Wittgenstein ont portée à leur sommet. De plus, Berlin, capitale cosmopolite où de nombreux artistes avaient élu domicile, devint aussi le centre de l'art dramatique et des expérimentations scénographiques.

Nouvelle Objectivité

Dans l'effervescence berlinoise, Horváth se plongea dans des réalités sociales qui ont favorisé un théâtre plus politique qualifié de "Nouvelle Objectivité". Brecht, Zuckmayer, Reinhardt et Piscator s'illustrèrent alors dans une veine inédite sur les scènes allemandes.

Auteur d'esquisses, de courtes proses et de fragments dialogués inspirés de tournures populaires, de tics de langage et de citations, Horváth donna sa première pièce, "Le Funiculaire", en juillet 1926, basée sur un chantier dans le Tyrol sur fond de luttes de classes. Elle remporta un vif succès par sa veine populaire, non sans ambiguïté d'ailleurs, car les ouvriers n'y sont pas campés en victimes ou en héros selon la doctrine marxiste.

En revanche, Horváth s'engagea auprès de la Ligue allemande des Droits de l'homme pour dénoncer les dysfonctionnements de la justice et les exactions de l'"armée noire", les milices clandestines d'extrême-droite qui couvaient le nazisme. Les nazis qui vont s'acharner contre les pièces d'Horváth.

Les strates du langage

Couverture du livre "Ödön von Horváth" de René Zahnd. [Editions Ides et Calendes]
Couverture du livre "Ödön von Horváth" de René Zahnd. [Editions Ides et Calendes]

Dès 1929, le dramaturge aiguisa ses outils en mettant dans la bouche des personnages de "Nuit italienne" divers jargons qui désingularisent l'individu: le parler petit-bourgeois, ouvrier, fasciste, républicain, autant de strates qui soulignent la mainmise de l'idéologie.

En 1931, sa pièce la plus connue, "Légendes de la forêt viennoise", met en scène les tribulations amoureuses de Marianne, fiancée à Oscar, mais attirée par Alfred qui devient son amant et dont elle aura un enfant qui mourra. Le patriarcat contre l’émancipation des femmes, cette pièce très musicale en plus de cent saynètes interroge la domination masculine au sein du foyer, garant de la domination sociale du fascisme.

La prise du pouvoir par Hitler en 1933 le condamna à l'exil et le mènera à Zurich, Amsterdam, Vienne et finalement Paris où sa vie, pleine de projets, s'est brisée d'un coup le 1er juin 1938 lors d'une tempête, une branche lui ayant rompu la nuque. Ultime coup de théâtre pour ce dramaturge et romancier aux personnages ballottés, comme lui, par la vie.

Christian Ciocca

René Zahnd, "Le théâtre d’Ödön von Horváth", coll. Le théâtre de, Ides et Calendes, 2020.

Sortis dans la même collection : Pierre Lepori,"Pirandello", Florence Fix, "Ibsen", Isabelle Barbéris, "Frisch", 2020.

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