Le Prix de Nobel de littérature 2020 a été annoncé peu après 13h: il a été attribué à l'Américaine Louise Glück pour "sa voix poétique caractéristique qui, avec une beauté austère, rend l'existence individuelle universelle", a annoncé l'Académie suédoise.
Deux ans après la Polonaise Olga Tokarczuk, Louise Glück est la seizième femme à se voir décerner le prix. Née en 1943 à New York, l'auteure vit à Cambridge, dans le Massachusetts. Outre l'écriture, elle est professeure d'anglais à l'Université de Yale, à New Haven, dans le Connecticut.
"First Born" fut son premier livre, en 1968; "C'est l'une des poétesses les plus proéminentes de la littérature américaine", a souligné le Comité Nobel.
Louise Glück avait remporté une autre récompense prestigieuse, le prix Pulitzer de poésie en 1993 pour son recueil "The Wild Iris" (lire encadré), recueil qui déploie tout un jardin. Elle a aussi été couronnée du titre convoité de "US Poet Laureate" en 2004.
L'enfance et la vie de famille, la relation étroite entre les parents et les frères et soeurs, sont une thématique centrale de son œuvre. Elle tend à l'universalité, écrit des poèmes oniriques, utilise les vers libres: sa poésie est très accessible. Elle se passe d'appareil critique explicatif, et l'anglais de Louise Glück se lit sans trop de peine, pourvu que l'on ait quelques notions de cette langue.
Adepte du dépouillement, elle cite pour premières influences de jeunesse des poètes connus pour leur clarté d'expression, William Butler Yeats (prix Nobel 1923) et T.S. Eliot (prix Nobel 1948).
Elle aime évoquer les changements, les moments décisifs: son écriture est souvent empreinte d'humour et d'un esprit mordant. La collection de textes "Vita Nova" (1999) se conclut par exemple avec ces lignes: "I thought my life was over and my heart was broken. / Then I moved to Cambridge.", traduit dans notre langue par, "Je crus ma vie terminée et mon cœur brisé. / Ensuite, j'ai déménagé à Cambridge."
"Averno" (2006) est son recueil magistral, une interprétation visionnaire du mythe de la descente aux enfers de Perséphone en captivité de Hadès, le dieu de la mort. Une autre réalisation spectaculaire est son dernier recueil, "Faithful and Virtuous Night" (2014).
En français, la traduction de cette poétesse est restée jusqu'ici confidentielle, faute de parution en volume. Elle se limite à des revues spécialisées. L'Américaine a consacré un de ses poèmes à Jeanne d'Arc en 1976.
Une lauréate surprise
La lauréate de ce 8 octobre constitue une surprise: la poétesse américaine Louise Glück ne figurait en effet sur aucune liste de papables.
Avare en interview, la lauréate a confié à l'agence suédoise TT qu'elle ne s'attendait pas à recevoir le prix: "Je suis une poète lyrique blanche américaine. Peut-être dans un autre siècle, mais pas maintenant", a-t-elle dit.
Pour beaucoup d'observateurs, l'Académie devait faire cette année un choix de raison, qui ne crée pas la polémique comme l'a fait l'an dernier l'Allemand pro-serbe Peter Handke, ou le choix du chanteur Bob Dylan en 2016 (lire encadré).
Certains ont même prédit la nomination d'une femme, d'un continent autre que l'Europe, et politiquement correcte.
Sur les sites des parieurs, la Française gouadeloupéenne Maryse Condé venait en tête. Mais les Français sont déjà les écrivains les plus récompensés du Nobel de Littérature. Et les Européens ont raflé cinq prix durant les six dernières années. L'Académie a donc préféré récompenser une autrice d'un autre continent.
On se souvient que l'Institution s'est réformée en profondeur après le scandale d'agression sexuelle qui l'a touchée, et le report du prix il y a deux ans. Un nouveau secrétaire perpétuel dirige l'Académie suédoise, quasi la moitié de ses membres a changé, elle s'est féminisée et s'est donné pour objectif une plus grande ouverture sur le monde.
Sylvie Lambelet/Stéphanie Jaquet/agences
Période trouble
Seul à pouvoir disputer à celui de la Paix le titre de plus célèbre des Nobel, le prix de littérature peine à sortir d'une des périodes les plus troublées de son histoire, pourtant longue et mouvementée.
Fin 2017, l'Académie suédoise avait été minée par les dissensions sur la manière de gérer les accusations visant un Français, Jean-Claude Arnault, époux d'une académicienne et personnalité influente de la scène culturelle suédoise, depuis condamné pour viol.
Le scandale avait déchiré l'institution en plein cataclysme #MeToo, jetant une lumière crue sur les coulisses d'une académie rongée par les intrigues, et ébranlant les Nobel et même l'image d'une Suède championne de transparence, de probité, de modernité et d'égalité.
Tremblant sur ses bases, le temple des lettres avait dû surseoir au prix 2018, du jamais vu depuis la guerre. A peine le temps de sortir de l'eau qu'il y avait replongé la tête la première en récompensant en octobre 2019 l'écrivain autrichien Peter Handke, aux sulfureuses positions pro-Milosevic.
afp
"Le jury du prix Nobel est pile dans sa mission"
Appelée sur le plateau du 19h30 à réagir sur la remise de ce Prix 2020, Lisbeth Koutchoumoff, critique littéraire au Temps, estime que l'Académie des Nobel a su jouer son rôle en récompensant une poétesse méconnue. "L'attribution de ce prix permettra justement de mener à la traduction de son oeuvre", estime-t-elle, "de cette manière, le jury du prix Nobel est pile dans sa mission".
"Snowdrops", le retour miraculeux de la vie après l'hiver
Louise Glück est notamment la poétesse "des changement radicaux et de la renaissance", "où le bond en avant est fait à partir d'un profond sentiment de perte", explique le Comité Nobel. Dans l'une de ses collections de textes les plus louée, "The Wild Iris" (1992), elle décrit le retour miraculeux de la vie après l'hiver, dans le poème ”Snowdrops”:
I did not expect to survive,
earth suppressing me. I didn’t expect
to waken again, to feel
in damp earth my body
able to respond again, remembering
after so long how to open again
in the cold light
of earliest spring –
afraid, yes, but among you again
crying yes risk joy
in the raw wind of the new world.