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Carole Martinez: "Dans ce livre, j’ai l’impression d’être toute nue"

L'écrivaine Carole Martinez. [Editions Gallimard - F. Mantovani]
Entretien avec Carole Martinez, auteure de "Les Roses fauves" / QWERTZ / 34 min. / le 29 octobre 2020
Carole Martinez est invitée au Salon du livre en ville, à Genève, pour présenter "Les Roses fauves". Un roman inspiré par une lectrice. Secrets de famille et fantômes du passé sont au cœur de ce conte végétal cultivé sur le terrain du merveilleux.

"Après la parution de mon premier roman, une lectrice est venue me trouver pour me parler d’une coutume andalouse selon laquelle une femme, sentant la mort approcher, se cachait pour broder un petit coussin en forme de cœur et le remplissait de bouts de papier sur lesquels elle avait écrit ses confessions", raconte Carole Martinez avec le talent de conteuse qu’on lui connaît.

Immédiatement, l’écrivaine a décelé le potentiel romanesque d’une telle coutume et a fait germer une histoire qui allait devenir, des années plus tard, "Les Roses fauves ".

Un imbroglio familial merveilleux et inquiétant

Le récit se passe il y a une dizaine d’années dans un village de Haute-Bretagne. C’est là qu’un double littéraire de Carole Martinez (qui lui ressemble beaucoup) s’est retiré pendant quelques mois pour y écrire un roman. Mais la rencontre avec la postière du village va bouleverser ses projets et emmener l’auteure dans un imbroglio familial merveilleux autant qu’inquiétant.

Lola s’est enfuie du monde paternel et réfugiée ici, entre cimetière et forêt, dans ce modeste jardin clos, où elle ne se sent jamais ni trop grande ni trop petite, juste à sa place.

Carole Martinez,"Les Roses fauves"

Elle s’appelle Lola Cam et prend peu de place, perchée sur les dernières branches d’un arbre généalogique chargé. Son père, un menuisier breton, l’a toujours méprisée à cause d’une légère boiterie qu’elle accuse. Sa mère, issue d’une longue lignée espagnole, lui a confié en héritage plusieurs cœurs en tissu renfermant les secrets de ses aïeules, soigneusement rangés au fond d’une armoire.

Un récit dans le récit

Lola, de son vrai nom Dolores, sympathise avec la romancière et invite celle-ci à partager un repas dans son modeste appartement situé au-dessus de la poste. Lorsqu’elles s’aperçoivent que les coutures de l’un des coussins ont cédé et que les petits papiers s’en sont échappés, les deux femmes n’hésitent pas longtemps à déchiffrer l’histoire secrète d’Inès Dolores.

Commence alors un récit dans le récit au fil duquel se dessine le parcours épique d’une aïeule espagnole malmenée par la vie, que son goût immodéré pour la liberté a su préserver des dangers. Dans le cœur décousu se trouve aussi un petit sac renfermant des graines mystérieuses. En les semant dans son jardin, Lola Cam s’apercevra qu’il s’agit d’une variété de roses au parfum entêtant, porteuses de désir et de mort.

Je suis la gardienne d’une histoire que j’ignore et qui ne m’appartient pas. L’origine de la douleur s’est perdue, il ne reste qu’un prénom et l’héritage inquiétant et silencieux qui repose dans mon armoire.

Carole Martinez, "Les Roses fauves"

Une histoire à l'eau de ronces

Avec cette histoire touffue aux multiples ramifications, Carole Martinez pose une fois de plus une question qui la taraude: sommes-nous écrits par ceux qui nous ont précédés? "Je m’intéresse à l’épigénétique, précise-t-elle. Des chercheurs dans ce domaine postulent qu’un traumatisme appartenant à nos ancêtres pourrait s’inscrire dans nos cellules sans qu’on n’en ait conscience. Un tel roman familial inscrit dans notre corps a quelque chose d’effrayant car il s’apparente à une sorte de destin".

"Les Roses fauves" est une histoire à l’eau de ronces qui prolifère dans le cœur du lecteur. Pour la romancière, la vraie Carole Martinez, c’est aussi un terrain fertile pour évoquer son art poétique et se livrer intimement sous le voile de la fiction. "Dans ce livre, j’ai l’impression d’être toute nue", confie-t-elle horrifiée. Elle n’a pas tort.

Jean-Marie Félix/aq

Carole Martinez, "Les Roses fauves", Ed. Gallimard.

Dans le cadre du Salon du livre en ville, à Genève, Carole Martinez rencontrera Olivia Ruiz lors d’une rencontre intitulée "Secrets de femmes et meubles de famille". Vendredi 30 octobre à 18h au Théâtre Saint-Gervais. La romancière lira également quelques passages des "Roses fauves" lors d’une lecture en ville le samedi 31 octobre à 10h30 à la librairie Payot Rive-gauche.

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