Que ce soit un open space flambant neuf, entouré de baies vitrées, ou un cabinet feutré et lambrissé, le bureau est cet endroit où travaille toute une partie de l’humanité. Un endroit que la crise sanitaire actuelle remet fortement en question.
Dans une passionnante "Ethnologie du bureau", Pascal Dibie s’intéresse à la mise en place des décors, des meubles et des objets de cette civilisation "assise" qui va prendre de plus en plus d’importance au fil des siècles. L’étymologie du mot "bureau", qu’on connaît à la fois comme meuble, pièce, institution, activité professionnelle et sociale, nous ramène à l’époque médiévale, lorsque les tables se couvraient d’une rude étoffe (la bure). Ses objets sont à priori très simples, modestes, petits: il y a la plume, l’encre, le papier… des objets qui sont des marqueurs de l’accroissement de l’activité bureaucratique.
On importait jusqu’en 1830 chaque année en France de 80 à 100'000 kilos de plumes à écrire brutes depuis la Russie, l’Angleterre et la Hollande.
Il y a aussi l’épingle! Objet minuscule mais emblématique, selon Adam Smith, de tout le système de la division du travail. D’ailleurs, la corbeille, le dossier, le document, l’enveloppe, et même l’épingle, sous forme de trombone, tous ces objets sont toujours d’actualité, sur nos bureaux virtuels. Ils correspondent trop bien à un besoin d’organiser, empiler, trier, traiter l’information pour qu’on les évacue complètement.
Mais que fait-on vraiment dans les bureaux? La Bureaucratie va naître après la Révolution française, et la disparition du Roi, qui sera remplacé par une autre forme d’autorité, plus vague, plus insidieuse aussi.
Toute la question à partir du Directoire, ça a été de savoir comment on pourrait fidéliser les gens qui étaient dans les bureaux, pour obéir à une entité non physique, qui s’appelle l’Etat.
Le bureau dans la littérature
Nombreux sont les écrivains qui se font le relais de ce monde étrange, souvent effrayant, du "bureau": un monde étriqué, absurde, angoissant, si bien décrit par Poe, Gogol, Boulgakov, Kafka, Orwell ou Ponge. "Je crains que la bureaucratie ne soit aujourd’hui plus l’expression d’un trouble, voire d’une maladie, que celle d’une rationalité froide, nécessaire et seulement efficace", écrit notamment l'ethnologue.
Pascal Dibie exprime son inquiétude face à cet univers, mais aussi ses espoirs devant les nombreuses et rapides métamorphoses dont il est l’objet depuis quelque temps, transformations profondes, structurelles, ou en réponse aux bouleversements que nous connaissons depuis peu.
L’effacement du bureau
Dont le télétravail, bien sûr, ses avantages et ses dangers, la remise en question radicale que cela implique. Mais aussi le changement d’outils (prenons la tablette, par exemple, dont la légèreté permet justement de se passer de "bureau", que ce soit le meuble ou l’espace), d’équipements tels que les éclairages suffisamment perfectionnés pour rendre imperceptible la différence entre le jour et la nuit.
Pascal Dibie parle carrément de "révolution" et décrit comme il a assisté, depuis le début de sa recherche, il y a six ans, à un "délitement" généralisé de cette notion de bureau.
Isabelle Carceles/olhor
Pascal Dibie, "Ethnologie du bureau", Ed. Métailié.
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