Pendant des années, Stephanie a mené une vie modeste, suffisamment confortable pour se croire à l'abri de la misère. Père électricien, mère assistante sociale, des grands-parents sans le sou, mais plein d'amour: elle vit une enfance globalement heureuse durant laquelle cette passionnée de lecture se rêve écrivaine. Mais faute de moyens pour entrer à l'université, elle va d'abord multiplier les petits jobs.
Puis elle rencontre un homme, tombe enceinte, le père de l'enfant se révèle violent. C'est là que la galère commence pour cette mère célibataire parmi d'autres, et que nous, lecteurs, découvrons les conditions de survie de toute une frange de la population américaine qui multiplie les emplois sous-payés et les déménagements à répétition comme on s'agite au milieu de l'océan pour ne pas couler.
A ses difficultés financières s'ajoute le poids des jugements dédaigneux. Parce que dans un pays bercé par l'illusion que "si tu veux tu peux", et que "en travaillant, on peut tous réussir", les pauvres sont forcément coupables de paresse. Cette humiliation, Stephanie Land la subit quotidiennement, au supermarché quand elle paie avec ses bons alimentaires, chez le pédiatre qui trouve qu'elle pourrait faire mieux pour sa fille et jusque dans sa propre famille qui persiste à la croire responsable de son sort.
Un témoignage à valeur journalistique
Pour échapper au récit misérabiliste, "Maid" repose sur une écriture simple, factuelle. Souvent proche du témoignage journalistique, le récit de Stephanie Land révèle, à travers ses démarches administratives et sa lutte quotidienne pour ne pas sombrer, les dysfonctionnements du système social américain.
La dimension romanesque l'emporte dans les descriptions des maisons qu'elle nettoie pour 9 dollars de l'heure, et auxquelles elle donne des surnoms: il y a la "Maison porno", aux tiroirs pleins de ces journaux, la "Maison aux plantes" qui en compte trop, la "Maison triste", marquée par le deuil... Torchons à la main, Stephanie Land découvre les failles derrière les façades luxueuses et la misère morale de leurs propriétaires qu'elle ne croise parfois jamais.
Une histoire bientôt adaptée en série par Netflix
Aujourd'hui quadragénaire, mariée et mère de quatre enfants, Stephanie Land a réussi son pari: en 2010, elle a obtenu un diplôme en écriture créative et elle est devenue écrivaine. Salué par la presse américaine à sa sortie, en 2019, "Maid" est en cours d'adaptation en série par Netflix, et il figure parmi les livres préférés de Barack Obama qui y voit "un regard indéfectible sur la fracture sociale en Amérique". Cette fracture que ni son gouvernement ni le suivant n'ont su résorber. A voir ce qu'en fera le prochain.
En attendant, Stephanie Land travaille à faire connaître son histoire via des conférences, des programmes de lecture dans les établissements scolaires, et en envoyant son livre aux membres du Congrès américain. Elle garde l'espoir de faire comprendre ce qu'est, vraiment, la pauvreté et tout ce qu'il reste à changer afin d’améliorer les conditions de vie des "invisibles" pour qui le "rêve américain" n’est qu’un mythe.
Anne-Laure Gannac/ld
"Maid" de Stephanie Land, traduit en français par Christel Paris, Editions du Globe.