Depuis une vingtaine d'années, Laurent Mauvignier publie, toujours aux Éditions de Minuit, des textes très littéraires profondément ancrés dans la réalité. Depuis son premier livre, "Loin d'eux" (1999), il s'est en effet attaché à donner une existence romanesque à une partie de la société qui apparaît peu en littérature, une petite classe moyenne rurale, une France pavillonnaire dont il est lui-même issu.
Laurent Mauvignier ne se contente pourtant pas d'en dresser une simple analyse sociologique, mais semble soucieux de débusquer l'humanité qui se cache derrière les statistiques. Dans le décor périurbain qu'il met en scène, il sait imaginer des personnalités complexes qu'il élève au rang d'inoubliables personnages de roman.
Quand j'étais ado, je voulais écrire, mais je me disais que je ne serais jamais écrivain. Les écrivains soit étaient déjà morts, soit habitaient Paris. On les voyait chez Pivot le vendredi soir. Ce ne pouvait pas être des gens qui vivaient au fin fond de la Touraine.
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Un texte hors norme
"Histoires de la nuit" est sans aucun doute son roman le plus réussi, un texte littéralement hors norme – il fait plus de 600 pages – en forme de thriller littéraire à la construction parfaite. L'action se déroule presque tout entière dans un petit hameau en apparence sans histoires constitué de trois maisons. L'une est vide, la deuxième est occupée par une famille d'agriculteurs et, dans la troisième, vit une artiste plasticienne venue s'enterrer là des années plus tôt. Dans ce décor rural assez banal, l'horreur surgit soudain. Laurent Mauvignier a su tenir son texte jusqu'au bout et instaurer une angoisse qui va crescendo jusqu'à un dénouement terrifiant et tout à fait inattendu.
… et pas trente secondes elle n'imagine ce qui se passe en lui, parfois, quand il se perd dans la mélasse de ses désirs et qu'il est incapable de maîtriser ses pulsions, qu'il se laisse déborder par le ressentiment et presque la haine qu'il lui voue, à force de solitude. Ça, elle ne s'en rend pas compte, pas à ce point, comme lui non plus ne se rend pas compte de ce par quoi sa femme est passée avant de le rencontrer.
Une prouesse littéraire
L'auteur aurait pu s'en tenir là, et se contenter de nous offrir un thriller bien ficelé. Il l'a transformé en prouesse littéraire. Tout tient sur sa maîtrise romanesque et surtout sur sa phrase, sinueuse, toute en circonvolutions, à l'opposé de ce qui caractérise d'habitude le genre du roman noir, soit des livres rédigés en général dans un style lapidaire.
Mauvignier étire chaque scène, nous offre de regarder chaque micro-évènement par les yeux de chacun des différents protagonistes présents. Il va sans cesse revenir sur ce qu'il écrit et chercher le mot juste pour parvenir à coller au plus près des sensations qui traversent ses personnages. Car ce sont bien eux qui l'intéressent. L'auteur remonte dans leur passé pour mettre au jour leurs failles, leurs gouffres, et la violence n'est pas seulement dans l'action qui se déroule sous nos yeux mais dans la mémoire de chacun, et elle est à l'origine de tout.
Ainsi Laurent Mauvignier apparaît comme un très grand romancier, capable de hisser de petites gens au rang de héros romanesques, et de transformer un simple fait divers en véritable tragédie.
Sylvie Tanette/ld
Laurent Mauvignier, "Histoires de la nuit" Editions de Minuit.
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