Liouba Bischoff est maîtresse de conférences à l’Ecole normale supérieure de Lyon, spécialiste du récit de voyage et des rapports entre littérature et sciences humaines. Dans ce cadre, elle s’est intéressée aux écrits de Bouvier, des œuvres publiées à ses nombreux inédits. Avec "Nicolas Bouvier ou l’usage du savoir", Liouba Bischoff apporte un éclairage passionnant de l’œuvre de l’écrivain-voyageur.
On croit qu’on va faire un voyage, mais bientôt, c’est le voyage qui vous fait, ou vous défait.
Nicolas Bouvier est décédé en 1998 à 68 ans, il a exercé beaucoup d’activités différentes, mais il est surtout connu pour ses voyages, principalement en Asie, et ses écrits sur ces voyages. Ils ont une qualité poétique exceptionnelle, et aussi, précise Liouba Bischoff, "ils ont toujours fait la part belle à l’impression subjective". Tout en relevant que Bouvier se tenait à mi-chemin entre le journaliste et l’historien; il n’est certes pas le seul écrivain voyageur, mais il apporte à ce genre une ampleur littéraire très grande.
Lorsqu’on lit l’un de ses livres, on croit tenir entre ses mains un récit de voyage. Et puis la finesse, la profondeur des questionnements qu’on y rencontre nous montrent qu’il s’agit d’autre chose, et nous emmènent ailleurs.
C’est sans doute ce qui séduit tous ses lecteurs, le fait qu’il y a un questionnement existentiel au fondement de tous ses récits de voyage.
Le travail de Bouvier, c’est une véritable quête, fondamentale, sur les motivations du voyage, accompagnée d’une grande profondeur du regard historique et anthropologique, dépassant largement l’impression subjective.
Un auteur paradoxal
Plusieurs paradoxes chez l’écrivain sont soulignés par Liouba Bischoff: le refus de l’érudition, alors que Bouvier provient d’un milieu très cultivé, qu’il a fait des études universitaires. Et l’"éloge de l’ignorance", résumé en une phrase d’une clarté aveuglante: "il ne faut pas lire, il faut voir" (Jean-Jacques Rousseau). Cependant, Bouvier fait tout de même le récit très détaillé de ses voyages.
Ce que Bouvier préconise, en vérité, c’est bien de garder un regard neuf sur le monde, sans le prisme déformant des connaissances préalables. Il recherche le "déconditionnement", nous dit Liouba Bischoff, tel qu’il l’a rencontré avec Montaigne, Nietzsche, Thoreau et les philosophies orientales.
Ce qui transforme les voyages qu’il fait et qu’il relate en voyages initiatiques. Tout en se gardant férocement du crime de "pédanterie", faisant de lui un écrivain pédagogue, ayant toujours le souci de transmettre de manière légère, voire teintée d’humour, ce qu’il partage dans ses ouvrages.
Fringale de collectionneur
Il y a une aussi aspiration viscérale chez Bouvier à faire l’expérience des choses, du monde, c’est une "fringale" dit-il, c’est celle du collectionneur qu’il était aussi, collectionneur d’images, de savoir en général… cette "libido sciendi", pour Liouba Bischoff, a été un moteur très puissant pour Bouvier, le poussant à la fois dans une recherche encyclopédique et sur les routes.
Isabelle Carceles/mh
Liouba Bischoff, "Nicolas Bouvier ou l’usage du savoir", Editions Zoé.
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