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Quand la photocopieuse de "Tolle, lege!" est bourrée, l’évêché trinque

Le photocopieur de marque japonaise aux multiples fonctions organiques de "Tolle, lege!" de Daniel Fattore dysfonctionne à qui mieux mieux. [Depositphotos]
Entretien avec Daniel Fattore, auteur de "Tolle, lege!" / QWERTZ / 24 min. / le 18 novembre 2020
Dans son roman jubilatoire, "Tolle, lege!", l’auteur fribourgeois Daniel Fattore met en sainte Cène les tribulations de la photocopieuse dernier cri d’un évêché dont le mode d’emploi aléatoire peut être suivi en latin sinon à la lettre.

Dans la bâtisse de Monseigneur Lévêque, mettons entre Genève et Fribourg, laïcs et ecclésiastiques s’activent pour administrer le diocèse dont les tâches profanes manquent cruellement de spiritualité. Pourtant, dans un petit local trône en majesté le photocopieur de marque japonaise aux multiples fonctions organiques, héros improbable de "Tolle, lege!", nouveau roman de Daniel Fattore. L’apprenti Paulo est commis d’office pour le faire fonctionner à son corps défendant, non sans danger et sous les invectives de sa cheffe Pétronille.

Une machine démoniaque

Alors que dans les bureaux épiscopaux crépitent les vieilles machines à écrire Remington 1920, analogiques mais efficaces, une bizarrerie numérique capte régulièrement l’attention: la photocopieuse dont les organes cachés dissimulent la complexité. Souvent "bourrée", elle jette ses usagers dans la perplexité, d’autant plus que le constructeur japonais a eu l’étrange idée d’en livrer le manuel d’utilisation en nippon et en… latin, par égard pour l’acquéreur.

Il se référa à l’écran du photocopieur. Mais là, pas grand-chose. Si ce n’est cette lumière orange qui clignotait, telle une bonne poilade diabolique, lui rappelant la plus probable des réalités: quelque part dans les entrailles du photocopieur, une feuille était restée coincée.

Daniel Fattore, "Tolle, lege!"

Par quel étrange dérèglement cette machine ne répond-elle jamais aux commandes? Serait-elle envoûtée par quelque démon venu hanter le bâtiment historique où siège Monseigneur? Subtilement, le romancier aménage le suspens, de courts chapitres en rebondissements, sans perdre de vue ses principaux personnages dans ce huis clos rempli d’obscurités et de rigidités.

Le secours d’un sorcier africain

Face aux comportements immaîtrisables du démon Xerox 69, l’évêque se voit contraint de téléphoner à un missionnaire de ses amis de séminaire, Père Six-Fleurs, lequel, tout aussi démuni, va faire appel à Bronco, un mage, un peu médecin, beaucoup sorcier qui ne vise pourtant à aucun maléfice pour sortir les cathos du pétrin. Puisque le christianisme est religion d’amour, ne faut-il point unir par le sacrement du mariage le photocopieur et la ronéo sise à Sétouprédissy, en Algérie? En libérant son imagination, l’auteur un brin potache et sans aucune autocensure se lance dans une liturgie savoureuse, car:

Après tout, bénir l’union de deux appareils de reproduction, c’était presque comme consacrer une union destinée à faire des gosses…

Daniel Fattore, "Tolle, lege!"

D’un rituel l’autre, insistera-t-on, en se régalant de la cérémonie de l’exorcisme, une prouesse littéraire digne des meilleurs films fantastiques, histoire de chasser des viscères du photocopieur le démon perturbateur qui crachotait de l’encre noire, nom d’un toner!

Le grand souffle de l’humour

Postfacé par Pierre Yves Lador, dévoreur de littérature marginale, cette fiction enthousiasmante publiée aux éditions Hélice Hélas à Vevey tranche dans le paysage romand par son allégresse et sa maîtrise dramaturgique. Après tout, ce n’est pas tous les jours qu’on peut "bouffer du curé" en s’amusant, tout en se gaussant de notre incorrigible maladresse face à toutes les prothèses numériques, smartphones, ordinateurs, logiciels et photocopieuses qui nous martyrisent à journée faite en clignotant… bêtement.

Christian Ciocca/mh  

Daniel Fattore, "Tolle, lege!", Editions Hélice Hélas.

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