L'histoire, contée par Fabienne Radi, se passe dans un club de tennis. A cette époque, le jeune Björn Borg arbore un bandana en finale de Roland-Garros et le short messieurs se porte très moulant. Un jour, au club, arrive un volumineux paquet recouvert de papier kraft: "A notre cher et beau professeur, roi des courts et empereur des vestiaires, à qui il ne manque décidément rien".
"Lorsqu'il arriva à huit heures et demie, comme à son habitude, le professeur resta perplexe devant le paquet. `Roi des courts`, oui, d'accord. Mais `empereur des vestiaires`, non, il ne comprenait pas. Et puis ce `décidément` qui venait ajouter une note insidieuse à la fin de la phrase, ça voulait dire quoi?".
Cette histoire est inventée. C'est une fiction. Avec pour délicieux titre "Le déclin du professeur de tennis". On la déniche dans un petit recueil de fables absolument drôlatiques où il est également question de dentitions, de bas de contention, d'accidents de voitures, de sirènes de piscine et de cabane du Mystère.
En revanche, l'objet emballé dans du papier kraft est bien réel. On peut le trouver dans un musée d'art contemporain. Il évoque une sorte de grosse bûche de Noël couleur chocolat ou étron (c'est selon) dans laquelle sont à moitié enfoncées une vingtaine de balles de tennis jaune fluo.
Partir d'un objet concret
Lorsqu'elle écrit une histoire, Fabienne Radi adore partir d'un objet concret, de préférence une œuvre d'art, que ce soit une photographie, une sculpture, un tableau, une installation, peu importe. L'autrice fribourgeoise observe la chose et son imaginaire se met à courir. Souvent très loin. Et plutôt en zigzag.
Vous aimez les classements? En voici un, il s'appelle "Dans l'ordre":
"En général on perd successivement:
1. Ses enfants (ils partent)
2. Ses parents (ils meurent)
3. Ses dents (elles tombent)"
Ça aussi, on le doit à la plume malicieuse et acide de Fabienne Radi laquelle livre, cet automne, un deuxième ouvrage délicieusement monomaniaque intitulé "Email Diamant" et sous-titré "trente-deux récits à géométrie variable en rapport plus ou moins étroit avec les dents".
Des univers parallèles
Fabienne Radi n'a pas fait que fréquenter les courts de tennis et les cabinets d'orthodontistes. On la trouve en librairie et du côté de l'art contemporain, domaine où elle est très active. Son travail d'écriture se situe à la frontière de ces deux mondes. De la littérature, elle emprunte les formes les plus diverses – poème, liste, conte, nouvelles, essai, chansonnette – et de l'art contemporain, elle chipe les objets les plus surprenants ou en fabrique elle-même, tel ce splendide savon en forme de cerveau.
Donnez-moi une réalité et je vous inventerais aussitôt un univers parallèle. Les fictions de Fabienne Radi citent volontiers des artistes plus ou moins iconiques, de Fernandel à David Bowie, en passant par Sœur Sourire et la performeuse Hayley Newman. Ses deux derniers livres rendent un hommage appuyé à l'actrice Shelley Duvall, épouse hurlante de Jack Nicholson dans le film d'horreur "Shining" et "femme à la dentition remarquable", dixit l'autrice en pamoison.
Les bouquins de Fabienne Radi sont à croquer, dévorer, ronger jusqu'à la dernière virgule (en forme de canine avec sa racine). Ils sont fins, jamais snobs ou cryptés, décalés à souhait, pataphysiciens dans l'esprit (tordu). On les suit, en ne sachant jamais où l'on atterrira. Et on en redemande, car ils sont décidément beaucoup trop courts.
Thierry Sartoretti/ld
Fabienne Radi, "Email Diamant", art&fiction; "Le déclin du professeur de tennis", Sombres torrents.