Un mot traverse l'intégralité du roman "Les Impatientes" de Djaïli Amadou Amal: "munyal". Ce qui peut se traduire par "patience", mais qui exprime plutôt l'idée de soumission totale. Avec cette "fiction inspirée de faits réels", l'auteure aborde les thèmes de la polygamie, du mariage forcé et des violences conjugales, en plongeant le lecteur dans la réalité des femmes d'Afrique de l'Ouest. Réalité qu'elle décrypte pas à pas, méthodiquement.
"Les Impatientes" est construit en trois temps autour de trois figures féminines représentant trois facettes de l'asservissement des femmes du nord du Cameroun. Une soumission dictée par des traditions anciennes et vivaces.
Toutes les trois sont membres d'une même famille élargie. Ramla, 17 ans, vive, déterminée, ambitieuse, se retrouve mariée contre son gré à un homme beaucoup plus âgé et déjà engagé avec Safira, la première épouse. Celle-ci voit arriver Ramla d'un très mauvais œil dans son couple. Quant à Hindou, elle est, elle aussi, mariée contre sa volonté à un homme violent.
L'amour n'existe pas avant le mariage, Ramla. Il est temps que tu redescendes sur terre. On n'est pas chez les Blancs ici. Ni chez les Hindous.
Une intrigue à l'issue implacable
Comme son héroïne Ramla, l'auteure a été mariée de force à l'âge de 17 ans à un homme riche et puissant, dans la même ville. Avec un amour assumé pour les traditions ancestrales et pourtant avec un sentiment de révolte, Djaïli Amadou Amal décrit un mode de vie qui semble immuable, malgré l'arrivée d'internet et des téléphones portables.
Elle décrit aussi avec soin les traditions peules, les rapports de pouvoir entre hommes et femmes, les relations familiales et la manière dont l'espace est conçu, habité, partagé. Sans oublier la dimension religieuse d'un islam très présent.
Tous ces éléments composent une intrigue à l'issue implacable qui, chapitre après chapitre, va rogner les ailes des femmes, anéantir leurs rêves, leur liberté, les isoler pour enfin les détruire.
On se sent tellement piégée, de toute part, on n'a pas d’issue, on ne sait pas comment faire, et on ne peut pas se confier aux autres…
Vu de l’intérieur, décortiqué soigneusement, le système qui permet l’asservissement des femmes est injustifiable. Mais il persiste. Lors de la parution de ses premiers romans, Djaïli Amadou Amal et son éditeur africain ont subi des menaces.
Récits d'une femme camerounaise
Djaïli Amadou Amal est l'auteure de plusieurs ouvrages qui évoquent tous son expérience de femme camerounaise, peule, à travers un angle féministe. Le premier, "Walaande, l'art de partager un mari" paru en 2010, raconte l'histoire des quatre épouses d'un même homme. En 2013, ce fut "Mistiriijo, la mangeuse d'âmes",roman parlant d'accusations de sorcellerie.
Quant à "Munyal", (premier titre du livre "Les Impatientes"), il a été publié en 2017 à Yaoundé et lui a valu deux ans plus tard le Prix Orange du livre en Afrique. Il est aujourd'hui publié par une éditrice française. Un pari déjà réussi pour Emmanuelle Collas puisque le roman figure sur les sélections finales du Goncourt et du Goncourt des lycéens.
Isabelle Carceles/ld
Djaïli Amadou Amal, "Les Impatientes", Ed. Emmanuelle Collas.
Vous aimez lire? Abonnez-vous à QWERTZ et recevez chaque vendredi cette newsletter consacrée à l'actualité du livre préparée par RTS Culture.