On aurait tort de juger catastrophiste "Histoires bizarroïdes", le nouveau recueil d’Olga Tokarczuk – star littéraire bien avant son Nobel – malgré sa conclusion: "Les ténèbres s’abattaient rapidement, mais cette fois de façon définitive". C’est plutôt la perplexité qui relie entre elles ces dix histoires dont les héros sont déboussolés, incompris ou rappelés à leurs limites.
Dans cette contrée, les gens vivent dans les arbres dont ils investissent les cavités pour dormir.
Mysticisme et transhumanisme
"Quand aurais-je perdu le fil?", se demande le vieux monsieur veuf d’un des récits, gêné de voir désormais des coutures en longueur sur ses chaussettes et des timbres ronds. Pour sa part, le soigneur d’une idole nationale artificiellement maintenue en vie s’interroge sur la légitimité de son action dans "Le calendrier des fêtes humaines", de même que dans "Les enfants verts" un savant écossais au service du roi de Pologne admet, face à des enfants sauvages "végétalisés", que "les lisières du monde sont propres à nous marquer pour toujours d’une impuissance mystérieuse".
Le trouble, voire l’ébahissement que manifestent les personnages des "Histoires bizarroïdes" traduisent les inquiétudes de l’autrice polonaise sur le clonage, l’intolérance religieuse, l'individualisme et le saccage de la nature. Des sujets qu’Olga Tokarczuk traite ici en cinq ou trente pages mais dont la traductrice Maryla Laurent ne serait pas étonnée qu’ils nourrissent un jour un gros roman, comme "Les livres de Jakob", pavé de plus de 1000 pages.
Sans jamais se défaire de sa pochette en plastique, ni de son visage inexpressif, elle mettait à leur disposition son temps et ses talents linguistiques.
Ambiguïté et raffinement
Olga Tokarczuk injecte dans ses romans une culture encyclopédique, une insatiable curiosité et la rigueur d’une enquêtrice. Pour autant, malgré des références historiques et scientifiques solides, ses "Histoires bizarroïdes" se lisent sans difficulté, tant l’écriture est fluide, empreinte d’une ironie légère.
"On est vraiment dans ce qui se conçoit clairement s’énonce clairement": Maryla Laurent explique le succès de l’auteure par sa volonté de s’adresser à tous les publics, "même si ces histoires en apparence simples donnent à réfléchir".
La traductrice ne cache toutefois pas que l’écriture d’Olga Tokarczuk lui donne souvent du fil à retordre. Registres de langue variés, mots raffinés et précis, renversement des points de vue narratifs: une vision ouverte et totalement nouvelle de la littérature qui fait d’Olga Tokarczuk une grande écrivaine.
Geneviève Bridel/mh
Olga Tokarczuk, "Histoires bizarroïdes" et "Le tendre narrateur", Discours du Nobel et autres textes, éditions Noir sur Blanc.
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