Alexandre Dumas (1802-1870) était ce qu'on appelle une nature: gourmand jusqu'à l'épuisement, dépensier flamboyant, amant compulsif et bourreau de travail. Victime des sarcasmes racistes de certains de ses contemporains - il était quarteron -, Dumas avait aussi un sens de la répartie cinglante. Ainsi lors d'une discussion à propos de la récente théorie de l'évolution de Darwin qu'il défendait, un opposant l'interpelle:
- Au fait, cher maître, vous devez bien vous y connaître en nègres?
- Mais très certainement. Mon père était un mulâtre, mon grand-père était un nègre et mon arrière-grand-père était un singe. Vous voyez, Monsieur, ma famille commence où finit la vôtre.
Une oeuvre gigantesque
En moins de cinquante ans de carrière, Alexandre Dumas a publié 600 livres, soit un par mois, en comprenant ses récits de voyage, ses pièces de théâtre, ses nouvelles, ses essais historiques, ses biographies, ses opéras, son Dictionnaire de la cuisine et ses Mémoires. Pour tenir le rythme, l'homme employait nonante collaborateurs, dont un en particulier, son prête-plume préféré, Auguste Maquet. Alexandre Dumas donnait l'idée et mettait la touche finale aux copies qu'on lui fournissait.
Un mode de production très éloigné de l'image artisanale de l'écrivain solitaire angoissé devant la page blanche mais assez proche de l'art contemporain, où le concepteur n'est pas forcément l'exécutant.
Pour fêter les 150 ans de la mort de l'écrivain, le 5 décembre 1870, les éditions Omnibus proposent une belle réédition du "Comte de Monte-Cristo", son deuxième plus grand succès après "Les Trois Mousquetaires". Il est illustré par 173 gravures d'Edouard Riou et préfacé par Claude Aziza qui raconte la genèse du roman et son phénoménal succès. Cette réédition comprend également un dictionnaire, érudit et plein d'humour, qui expose tout ce qu'il faut savoir sur l'auteur prolifique.
Un roman-feuilleton
Le livre, on le connaît par coeur mais, comme les enfants, on ne s'en lasse pas. "Le comte de Monte-Cristo" (1845) raconte l'histoire d'Edmond Dantès, jeune capitaine amoureux de Mercedes et trahi par trois de ses "amis" jaloux. Dénoncé comme conspirateur bonapartiste, il est jeté dans les geôles du château d'If, où il sera instruit en secret par un compagnon de captivité, l'abbé Faria. Après des années d'enfermement, Edmond réussit à s’évader et à s'emparer du trésor dont le prêtre lui avait parlé avant de mourir. Riche désormais, il entreprend de se venger des trois hommes qui lui ont volé une partie de sa vie.
Le roman, de plus de 800 pages, nous entraîne de Marseille à l'île de Monte-Cristo, de Rome au Paris des années 1830; il est fait de multiples digressions sur les événements politiques, le jardinage, les exploits de bandits, les découvertes scientifiques etc. Grande épopée, manipulation, romance, amours contrariés, rebondissements, suspense, tout y est. Pour Umberto Eco, "c'est un des plus passionnants romans qui aient jamais été écrits".
L'oeuvre a d'ailleurs souvent été portée à l'écran. Jean Marais, Richard Chamberlain, Louis Jourdan, Pierre-Richard Willm ou Guillaume Depardieu ont revêtu le costume d'Edmond Dantès. Mais Gérard Depardieu est le seul à avoir incarné à la fois Monte-Cristo et Alexandre Dumas.
Le théâtre pour commencer
Avant de devenir romancier, Alexandre Dumas a d'abord été reconnu comme dramaturge, de vaudevilles puis de drames historiques. Son "Henri III et sa Cour", par exemple, a fait un triomphe à la Comédie-Française en 1829. Il ira même jusqu'à faire construire son propre théâtre en 1846, lequel fera faillite quatre ans plus tard.
L'auteur de "La Reine Margot" se lance dans le roman dans les années 1830 quand les journaux s'entichent du roman-feuilleton pour s'ouvrir à un plus large public et le fidéliser. Le roman-feuilleton est au XIXe siècle ce que sont les séries au XXIe: des produits totalement addictifs et fédérateurs. Dumas comprend qu'il y a de l'argent à gagner et une place à prendre. Il sait que par son histoire personnelle de sang et de classe mêlés, il peut captiver les foules:
Composé du double élément aristocratique et populaire, aristocratique par mon père, populaire par ma mère, nul plus que moi ne réunit en un seul coeur et l'admiration respectueuse pour ce qui est grand, et la tendre et profonde sympathie pour ce qui est malheureux.
Le 14 mars 1844, son coup d'essai, "Les Trois Mousquetaires", rencontre un succès fulgurant et fait grimper les ventes du journal qui l'abrite. A partir de ce moment, Dumas surfe sur l'intérêt général porté à l'histoire même si l'action du "Comte de Monte-Cristo" se déroule du vivant de l'auteur. Dans "Mes Mémoires", Dumas écrit que ses livres se veulent populaires, "amusant une classe qui sait et instruisant une classe qui ne sait pas pour rendre justice au peuple dépossédé de son histoire".
Bien sûr, au vu de son succès, il lui a souvent été reproché de prendre beaucoup de liberté avec les faits. Et à un Monsieur qui l'accusait de violer l'Histoire, Dumas a eu cette réponse célèbre: "Certes, mais je lui fais de si beaux enfants!".
Sujet radio: Geneviève Bridel
Adaptation web: Marie-Claude Martin
"Le comte de Monte-Cristo", aux éditions Omnibus, illustré par 174 gravures, préface de Claude Aziza.