"Ce texte provient de ma volonté de dire la tyrannie et le système politique du pays dont je suis originaire", affirme sans détour Max Lobe, écrivain né à Douala en 1986, installé en Suisse depuis l'âge de 18 ans. A l'origine du roman "La Promesse de Sa Phall'Excellence", il y a un pamphlet publié au printemps 2019 dans l'hebdomadaire Le Point.
L'écrivain s'y adressait avec admiration à ses frères algériens, eux qui avaient été capables de renvoyer leur président vieillissant Bouteflika. Il rêvait que le peuple camerounais fasse de même et démissionne l'octogénaire Paul Biya, accroché au pouvoir depuis près de quarante ans.
De pamphlet à oeuvre littéraire
Pour que le pamphlet devienne œuvre littéraire, Max Lobe a rassemblé de nombreux textes dont ceux de philosophes: Arendt, Bergson, Machiavel. Puis, lors d'une résidence d'écriture new-yorkaise, le roman s'est esquissé à l'ombre des gratte-ciels de Manhattan. Cette verticalité phallique, symbole de puissance virile, a imprimé au texte un ton éminemment sexué, accentué par la découverte de l'outrance rabelaisienne.
Si vous n'êtes pas d'accord avec la langue que je vais utiliser pour dire cette histoire, alors rejoignez-moi seulement ici à Elobi, à la terrasse du bar de Uncle Godblessyou.
Celui qui harangue ainsi la foule se nomme AcaDa-Writa. Il est raconteur d'histoires, membre permanent d’un bar situé dans un bidonville. C'est là que la population locale guette "la Phallamparition de Sa Phall'Excellence et de sa Clith'Altesse La Royale Bien-Aimée, de la République phallanclitoroyale de Crevetterie". Apparition attendue comme "la Promesse du Grand Jour". Et pour tuer le temps, AcaDa-Writa raconte de manière cinglante le quotidien de la populace placée sous la férule d'une armée de milices particulièrement violente.
Un travail de la langue
Dans ces histoires enchâssées, le raconteur semble possédé par des personnages truculents. Uncle Godblessyou, tenancier du bar situé au "carrefour Chacun-s'assoit-Dieu-le-pousse" qui sert les bières "Tien'Bon" par litre et demi. Dibéa Bi Nkondo, vieux fou au crâne lacéré qui attise l'impatience des "bidonvillards". Et Tata Pélagie, matrone au langage aussi rebondi que son postérieur qui sert la meilleure soupe du quartier.
Il dit que Sa Phall'Excellence n'est rien d'autre qu'un p'tit-peupa-président enchaisé dans un landau que pouse-pousse Sa Clith'Altesse. Ta Phall'Excellence que tu réclames là-là-là ne serait donc qu'un vieux p'tit-bébé-mâlemaille qui passe Ses journées à baver avè Sa lolette embouchanussée.
"Ce livre repose entièrement sur le travail de la langue", affirme avec force Max Lobe. Il y a des mots qui sautillent dans ma tête mais qui n'existent pas, alors je les invente. Si une langue m'empêche de dire ce que je veux, c'est qu'on est peut-être dans un système tyrannique". Le propos est radical, comme l'est l'expérimentation linguistique que constitue le texte. L'inventivité langagière comme instrument d'un contre-pouvoir, c'est cela que met en fiction l'écrivain.
Certains lecteurs fidèles de Max Lobe seront peut-être déconcertés par ce texte incisif et bref qui n'a pas le charme narratif de ses précédents romans. L'incursion des innombrables néologismes, des onomatopées, des mots issus de l'anglais et du bassa, tout cela peut provoquer un sentiment de jubilation comme de suffocation. En tout cas, ce livre dans lequel résonne un "sur-ultra-über-rire" marque un tournant dans le cheminement littéraire de l’écrivain qui, comme son maître C.F. Ramuz, tend à l'universalité en partant du local, voire de l'intime.
Jean-Marie Félix/ld
Max Lobe, "La Promesse de Sa Phall'Excellence", Editions Zoé.
Max Lobe sera l'invité de l'émission "La Vie à peu près", sur Espace 2 du 25 au 29 janvier.
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