Tout part d’une série de malentendus. Et les malentendus, on le sait depuis "Les Bronzés font du ski", sont parfois source de succès inespérés. Compositeur culte de la scène européenne, Gavin Bryars a le don de dérouter son monde. On le dit minimaliste? Lui se détourne de la musique de Philip Glass ou de Steve Reich, qu’il juge paresseuse. Le grand public le découvre avec une pièce répétitive écrite vingt ans plus tôt ("Jesus’ Blood Never Failed Me Yet")? Lui est ailleurs, composant à l’ancienne madrigaux, opéras et concertos.
Voilà ce qu’on découvre à la lecture de "Gavin Bryars en paroles, en musique", un entretien de longue haleine mené par le Français Jean-Louis Tallon. Première monographie consacrée à ce compositeur de 78 ans, cet ouvrage jalonné de photographies personnelles retrace le parcours d’un musicien à la fantaisie toujours en éveil.
La vie de Bryars
Contrebassiste par amour du jazz, compositeur épris de romans fantastiques, grand admirateur de Marcel Duchamp et des expériences littéraires de l’OuLiPo, membre du Collège de Pataphysique, l’Anglais s’est toujours défié des avant-gardes autoproclamées. Dans cette confession au long cours, l’homme n’a pas de mots assez durs pour condamner l’emprise néfaste d’un Pierre Boulez sur la trajectoire musicale du 20e siècle.
La musique est d’abord quelque chose que l’on entend intérieurement et non ce qu’il conviendrait d’assembler selon un mode de calcul, une structure ou un modèle, aussi intelligent soit-il. (...) Quand j’écris, je me fie au son que je veux entendre.
La branche historique qu’il suit est autre: admirateur de Charles Ives, collaborateur de John Cage dans ses années de formation, Gavin Bryars a gardé de ses modèles américains cet esprit aventureux mâtiné d’humour qui donne à ses créations un caractère à la fois très accessible et très subtil, pour qui cherche à en débrouiller les ressorts intimes.
Et si la liste de ses compagnons de route est impressionnante, de Terry Riley à Bob Wilson, de Tom Waits au Hilliard Ensemble, de Lucinda Childs à Charlie Haden, ce qui fascine encore davantage, c’est la multiplicité des formes dans lesquelles se déploie son inspiration. Pièces solistes, œuvres orchestrales avec bande-magnétique, quatuors, opéras, concertos, œuvres vocales a capella, le spectre large du compositeur révèle un attachement sincère aux canons de la musique classique.
La voix humaine
En cinquante ans de création, Gavin Bryars s’est essayé à toutes les formes. Une diversité parfois mésestimée, tant le monde du disque n’offre qu’une portion congrue de son immense production. Et si la contrebasse demeure la pièce maîtresse de son jeu musical, son instrument de prédilection est bien la voix humaine. Voix lyriques, voix polyphoniques, voix-off ou voix d’archives, la vie musicale de Gavin Bryars est noire de monde.
Et par sa propre voix, restituée dans ce livre généreux, l’amateur de ses œuvres découvrira combien les relations humaines, les amitiés et les affinités électives jouent un rôle primordial dans l’élaboration de ses compositions sensibles. Une œuvre musicale à hauteur d’humain, dont notre époque a singulièrement besoin.
Nicolas Julliard/mh
Jean-Louis Tallon, "Gavin Bryars en paroles, en musique", Ed. Le Mot et le Reste.
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