Philippe Jaccottet sous le regard du poète Fabien Vasseur

"Philippe Jaccottet – Le combat invisible" permet à Fabien Vasseur de dialoguer avec une des œuvres poétiques majeures de notre temps. Il lui a consacré sa thèse en 2001 après l’avoir découvert lors de ses études. Cette nouvelle monographie retrace l’élaboration patiente des recueils poétiques depuis l’adolescence lausannoise de l’auteur de "L’Effraie" puis de "L’Ignorant", publié chez Gallimard en 1958 qui le révéla aux lecteurs francophones. Un poète non pas effacé, mais paradoxal, pour qui lumières et ténèbres s’affrontent sans cesse.

Dans le sillage du romantisme allemand

En 1941, âgé de seize ans, Philippe Jaccottet rencontra le poète Gustave Roud dont l’œuvre puissante mais discrète le bouleversa. Lors de son allocution, Roud terminait: " … en disant que celui qui n’avait pas entendu chanter, après une nuit de marche, l’alouette annonçant le réveil d’un monde plus pur que son chant ne comprendrait probablement pas ce qu’était la poésie". Traducteur des romantiques allemands comme Novalis et Hölderlin, Roud transmit à son cadet cette recherche des signes du paradis éparpillés en fragments sur terre. Or, pour la génération de Jaccottet, vingt ans au sortir de la guerre, les horreurs et les souffrances furent aussi une terrible révélation.

L’air de Grignan

Après sept ans passés à Paris comme agent littéraire de l’éditeur Henri-Louis Mermod, Jaccottet s’installa dans le village de Grignan sans grande ressource ni chauffage.

Or, en déménageant, Jaccottet ne coupe nullement les ponts avec Paris, bien au contraire: la même année il entre dans 'le sanctuaire NRF', […] qui accueille 'L’Effraie' dans sa collection 'Métamorphoses'. Pour une jeune poète, c’est un adoubement.

Cette ouverture au grand air provençal, à l’ombre d’un imposant château, a allégé les vers de Jaccottet sans que jamais les jeux de langage ne l’emportent sur le sens caché des choses. Et le combat des mots n’en est devenu que plus essentiel pour repousser en soi et contre soi l’insignifiance et le désespoir.

Tant d’années,
Et vraiment si maigre savoir,
Cœur si défaillant?

Pas la plus fruste obole dont payer
Le passeur, s’il approche?

J’ai fait provision d’herbe et d’eau rapide, je me suis gardé léger
pour que la barque enfonce moins.

Philippe Jaccottet, "Cahier de verdure" suivi de "Après beaucoup d’années", Gallimard

Un labeur acharné

Pour gagner sa vie, Jaccottet, devenu père de trois enfants, s’est lancé dans de longues traductions des œuvres de Musil, Rilke, Montale et la fameuse "Odyssée" d’Homère. Ses très nombreux articles critiques, son érudition littéraire et musicale ont alimenté le poète, mais aussi l’œuvre, même s’il s’en défend parfois. Une possible réconciliation avec le monde menaçant et enlaidi d’aujourd’hui n’est pas tout à fait impossible, encore que les voyages du poète au Proche-Orient, après les émerveillements de l’Italie et de la Grèce, ne l’aient plus récemment assombri. Et puis les amis disparus ont aussi teinté de sourde mélancolie le chant des oiseaux.

Avec délicatesse, sans renier une approche de la posture paradoxale du poète, Fabien Vasseur parvient à accompagner l’une des plus fécondes créations de ce temps, maintenant disponible dans la Bibliothèque de La Pléiade depuis 2014, rare privilège pour un auteur vivant.

Christian Ciocca/mh

Fabien Vasseur, "Philippe Jaccottet – Le combat invisible", coll. Le Savoir suisse N° 146, Ed. PPUR.

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