"Le démon de la colline aux loups", premier roman de Dimitri Rouchon-Borie, parle d'inceste, d'enfance brisée et de violence qui se perpétue. Des sujets qui sont dans l'actualité éditoriale. Alors, qu'est-ce qui différencie ce roman des autres?
D'abord son auteur. Dimitri Rouchon-Borie est chroniqueur judiciaire. Son livre est visiblement inspiré par les horreurs qu'il a dû entendre dans les tribunaux. Ensuite, "Le démon de la colline aux loups" n'est ni un témoignage, ni un récit, mais une pure fiction avec des personnages de papier qui ont une réalité et une efficacité démoniaques pour reprendre un élément du titre, même si dans ce livre très sombre évoluent quelques belles personnes. Enfin, ce qui différencie ce livre de tous les autres, c'est la voix du narrateur, unique et incomparable.
Ce narrateur s'appelle Duke. Au début du roman, il est en prison pour meurtre et tape frénétiquement sur une machine à écrire le récit de sa vie fracassée.
La fatalité de la violence
Né dans une fratrie martyrisée, Duke est le seul à être victime des abus sexuels de son père. Mais ils sont six à être maltraités - le mot est faible - par des parents dont on ne saura pas grand-chose, sinon qu'ils enfermaient leurs enfants dans une cave sans lumière, qu'ils les affamaient et les obligeaient à faire leurs besoins dans un coin. Privés de tout, ces enfants passent leurs journées, pelotonnés les uns contre les autres comme des animaux, dans ce que le narrateur appelle "le nid".
Après un bref passage à l'école, une fugue et un placement en famille d'accueil, Duke assiste, sans comprendre grand-chose, au procès de ses parents condamnés à perpétuité, fuit sa famille d'adoption, erre jusqu'à la mer, rencontre une fille, vit avec elle dans un squat. Puis surgit en lui un déchaînement de violence qu'il attribue au "Démon de la colline aux loups", une force malfaisante qui va le pousser à tuer.
Le pire est là: la fatalité qui fait de lui quelqu'un voué à l'échec, à la perte et au manque d'amour, à une sorte de non-vie. D'ailleurs, il écrit: "je ne crois pas que je suis vivant autrement que par mes fonctions biologiques mais dedans je suis mort".
L'espoir dans l'écriture
L'effroi qu'inspire ce texte, aux lectrices et lecteurs, vient de ce qu'on craint que Dimitri Rouchon-Borie n'ait pu inventer ces horreurs, que ce soit trop affreux, terrible et glauque pour être le produit de l'imagination.
Pourtant, une lueur d'espoir existe. Elle vient des mots que Duke, quasiment illettré, acquiert petit à petit, et qui l'aident à se former une certaine compréhension du monde: il a son "parlement" comme il dit, sa manière à lui de raconter l'inracontable, sans ponctuation, sans analyse, sans qualificatif précis, ni avis, ni opinion, avec des bouts de phrases qu'il entend, ne comprend pas toujours, avec des sensations qu’il ressent mais ne sait pas expliquer.
L'écriture est pour lui une forme de salut, de rédemption même, d'autant qu’il fait allusion à ses discussions avec l'aumônier de la prison, qui lui remet les "Confessions de Saint-Augustin", en qui il trouve un frère, un écho à ce qu'il éprouve.
Une entrée en littérature
Ce monologue du narrateur par machine à écrire interposée n'a pas de vocation thérapeutique, même s'il raconte la construction d'une conscience humaine. La démarche est avant tout littéraire: réparer les souffrances, les hontes, les sentiments blessés, conserver parfois aussi les petits moments de bonheur, par les mots.
Avec ce premier livre coup de poing, l’auteur entre en littérature par la grande porte et correspond en tous points à la devise de son éditeur, le Tripode: "ouvrir un lieu d'asile aux esprits singuliers".
Geneviève Bridel/mcm