Au sein de la société Helvedys Markets SA, rue du Rhône à Genève, la salle climatisée des serveurs surchauffe depuis le lancement en 2009 du robot de trading Ethics FX, censé assainir la finance globalisée. Conçu dans le plus grand secret par un "génie de l'ingénierie digitale" Antoine Dargaud, équipé d'une intelligence artificielle capable d'opérer ses propres choix éthiques, le robot est pourtant en proie aux défaillances. Tel est le "pitch" de "La Faille Ethics", premier roman de Laurent Jayr que révèlent aujourd'hui les Presses littéraires de Fribourg.
Moraliser la crise des subprimes
La crise mondiale de 2008 n'a pas seulement ébranlé la finance internationale, elle a engendré un sursaut de régulation au sein des sociétés de trading à la recherche des meilleurs rendements. Or si les traders ont souvent flirté avec des opérations pour le moins opaques, se pourrait-il qu'une conception plus éthique devance les transactions et l'emporte sur les malversations aux conséquences fâcheuses?
Les deux fondateurs de la start-up Helvedys, Alex Pierrefranc et son associé, Antoine Dargaud, pensent avoir déniché la poule aux œufs d'or avec Ethics, dont les indicateurs boursiers sont parmi les plus fiables du marché. L'application leur a valu un surcroît de clients tous azimuts attirés par les plus-values judicieusement détectées par le robot. Mais un tel succès n'a pas seulement alléché les bourses mondiales, il a aussi suscité des craintes et des enquêtes journalistiques malvenues dans ce club à la discrétion proverbiale.
"Nous ne vous accorderons jamais de licence bancaire". Quel sale petit con! Comment quelques articles publiés dans ces torchons de la presse genevoise peuvent-ils ainsi démolir la réputation de son robot? [dixit Antoine Dargaud]
La finance sans pilote dans le jeu de l'avion
Alertée par des fuites et l'enquête de la journaliste Vanessa Reichwein, la FINMA, autorité fédérale de surveillance de la place bancaire, hésite à accorder à Helvedys sa licence bancaire. Ce nouveau robot ne dissimule-t-il pas une stratégie bien moins vertueuse que ne le prétendent ses détenteurs? Pour des raisons adverses, même Wall Street s'y intéresse, non pour le racheter, mais pour le détruire, car cette machine en main d'un "microbe" genevois de la finance mondialisée dessert leurs visées spéculatives.
La finance est un club privé. C'est comme un bolide sans pilote qui fonce à toute allure en laissant le reste de l'humanité dans la poussière. Il faut un accident grave pour pouvoir le rattraper. Comme une crise des subprimes. Ou bien comme ton robot.
Antoine Dargaud consacre ses nuits et ses jours à Ethics et ne comprend pas les attaques dont sa créature de fibres et de carbone est la cible. Mais la faille ne relève pas d'algorithmes mal ficelés ou d'une éthique trompeuse. Un agent bien humain s'est introduit dans le système pour discréditer la start-up et lui voler son efficacité planétaire. Même la justice genevoise s'en mêle croyant à faire à des malversations calculées sciemment par ce surdoué.
Intrigue en labyrinthe
Entré lui-même dans le monde clos de la finance genevoise en qualité de développeur, Laurent Jayr s'est familiarisé durant une douzaine d'années aux opérations bancaires. Juste après la crise des subprimes, il s'est interrogé sur la pertinence et le sens de son travail d'informaticien. Il en parle en connaissance de cause et a mis dix ans pour concevoir son intrigue très réaliste. Les chapitres brefs entrecroisent les déboires de la machine et les parties récréatives où boire relève de la survie dans ce biotope survolté. Jeu de dupes? Sans doute, mais jeu littéraire réussi de main de maître.
Christian Ciocca/ld
Laurent Jayr, "La Faille Ethics", Presses littéraires de Fribourg.
Vous aimez lire? Abonnez-vous à QWERTZet recevez chaque vendredi cette newsletter consacrée à l'actualité du livre préparée par RTS Culture.