Aymeric a 25 ans lorsqu’il s’installe avec Florence. Avant cela, sa vie a semblé être une suite d’événements plus ou moins embrouillés. Son enfance passée dans le Jura français au sein d’une famille rurale, ses études entamées à Lyon mais vite arrêtées, son séjour en prison pour des combines foireuses. A sa sortie, il a préféré travailler en intérim malgré la précarité, car les contrats courts lui donnent la sensation d’une relative liberté qui lui convient bien. Il ne s’explique pas pourquoi il est tombé amoureux de Florence, une quadra au look de rockeuse, enceinte d’un autre homme.
Pierric Bailly est lui-même né il y a près de quarante ans dans le Jura français. Il partage aujourd’hui sa vie entre Lyon et cette région où il aime retourner. Il connaît bien le monde décrit dans son nouveau livre, "Le roman de Jim". Un prolétariat rural qui vivote sous les radars et dont il restitue la complexité et la richesse humaine, loin des clichés. Ainsi, il sait donner une existence littéraire et hisser au rang de héros des personnages aux vies anonymes et complexes.
La vie des classes populaires en milieu rural est complexe, elle est à l’image de notre époque et elle n’est pas si différente de celle des gens qui vivent en ville. Les émotions qui nous traversent sont exactement les mêmes.
Fuir les étiquettes
Aymeric tente d’échapper aux étiquettes. Il ne se définit ni comme prolétaire ni comme rural, et essaie surtout de mener sa vie comme il l’entend. C’est alors qu’il devient père sans l’avoir choisi.
Ce n’est pas la première fois que Pierric Bailly aborde le thème de la paternité. Il y avait eu un beau récit autobiographique consacré à son père décédé, "L’homme des bois" (2017). Puis, l’an dernier, un texte loufoque et surprenant dans lequel un homme ne savait plus s’il était père ou pas, "Les enfants des autres". Aujourd'hui, ce beau texte explore dans un genre différent cette même thématique: "J’ai voulu écrire un mélo", explique-t-il.
Roman d'amour
Il s’agit en effet d’un roman d’amour, l’amour inconditionnel d’Aymeric pour Jim. Parce que, après l’accouchement de Florence, Aymeric va s’occuper du petit Jim comme s’il était le sien. "J’étais définitivement fou de ce môme […] l’idée qu’il lui arrive le moindre petit malheur m’était insupportable". Mais le père biologique de Jim va réapparaître et lui aussi doit trouver sa place. Avec beaucoup de pudeur, Pierric Bailly décrit cette vie d’Aymeric construite en marge du modèle de la famille traditionnelle. Et c’est dans une situation similaire que s’est déroulée l’enfance du romancier.
Il bougeait de plus en plus dans son ventre. J’avais l’impression d’avoir déjà entamé une sorte de relation avec lui. Je lui parlais, je lui chantais 'La Jument de Michao' de Tri Yann, je ne sais pas pourquoi cette chanson-là, c’était la première qui venait.
Au-delà de ce que le roman raconte, c’est la beauté de l’écriture de Pierric Bailly qui séduit, et sa maîtrise littéraire. Dans ce texte à la première personne, l’auteur use de l’oralité sans s’accorder aucune tournure facile. Il sait aussi suggérer les sentiments sans trop insister, montrer une situation sociale difficile sans sombrer dans le misérabilisme, et construire un récit avec ingéniosité, pour surprendre jusqu’à la fin.
Sylvie Tanette/mh
Pierric Bailly, "Le roman de Jim", éditions P.O.L.
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