Corinne Rey, dite Coco, sera dès le 1er avril la première femme caricaturiste attitrée d'un grand quotidien français. Elle remplacera à Libération le dessinateur Willem qui prend sa retraite à l'âge de 80 ans, après quarante ans de service. "Je ne dis pas 'remplacer' car on ne remplace pas un génie du dessin. Willem est un monument, son esprit de synthèse et ses idées virulentes sont autant d'uppercuts dans la figure. J'ai une frousse monstre mais c'est aussi un immense honneur", indique Coco à la RTS.
Comme son illustre prédécesseur, Coco continuera à travailler pour Charlie Hebdo, le titre qui l'a formée, et à se battre pour cette liberté d'expression qui a coûté la vie à ses amis et mentors.
Le dessin fait partie des valeurs démocratiques; il faut le défendre quelles que soient les valeurs morales de l'époque".
Une vague qui la submerge depuis 6 ans
Trouver sa place. C'est probablement le trajet de chacun de nous, mais plus particulièrement de Coco, survivante des attentats de Charlie Hebdo. Ce 7 janvier 2015, elle est prise en otage par les frères Kouachi qui l'obligent, sous la menace de deux kalachnikovs, à faire le code de sécurité de la porte blindée du journal satirique. Tous ses collègues, ou presque, sont là pour participer à la première réunion de l'année. La suite, on la connaît.
Comment faire avec une telle culpabilité? Comment survivre à tant de peur, d'effroi, de solitude, de regrets? Six ans après les faits et alors que le verdict du procès a été rendu, elle le raconte dans "Dessiner encore", où elle revient sur le maelström d’émotions qui continue de la submerger, comme si elle luttait contre "La Grande Vague" de Hokusai.
J'ai fait ce livre en attente du procès où je devais témoigner. Cela m'a aidée à me préparer, à préciser les choses, je me suis sentie mieux. Le dessin n'a pas été une thérapie à proprement parler mais il a agi comme un ami sur qui je pouvais m'appuyer.
Habituée au noir et blanc du dessin de presse, Coco a voulu de la couleur, des aquarelles et des encres, pour exprimer les différents moments de sa remontée à la surface, y compris les moments d'humour et d'autodérision. "La couleur était un élément centrale, notamment le bleu, couleur apaisante, qui suit le fil intérieur".
Le travail effectué avec un psy spécialisé dans les traumatismes d'attentats l'aidera également à sortir la tête de l'eau. Dans sa bande dessinée, il s'appelle Monsieur Jean. "Depuis 2015, 1700 personnes sont suivies suite à des attaques terroristes islamistes", précise-t-elle.
Des couleurs pour dire les émotions
Le massacre, Coco ne le dessine pas, sinon par des pages griffées. Impossible à représenter et, surtout, la dessinatrice ne voulait pas figer ses amis dans cette ultime scène. Elle préfère les montrer vivants, lors de leur première séance annuelle, heureux de se retrouver après les vacances. "On était bien à ce moment-là, le journal sortait des dettes, l'énergie était très positive, j'étais dans une pente ascensionnelle".
Et après? Après, c'est la longue litanie des "et si?", toutes les hypothèses envisagées si les choses avaient été un peu différentes. Coco les synthétise dans une sorte de damier qui ressemble à une cage. Aujourd'hui, malgré les tourments qui sont les siens, elle est sûre d'une chose: "Même si la fille qui donne le digicode occupe une place infecte dans ce damier, je sais que les seuls coupables, ce sont les terroristes".
Un travail de mémoire
Si "Dessiner encore" raconte une trajectoire personnelle, Coco souhaitait mettre en perspective les attentats de Charlie, dresser un historique pour comprendre comment cela est arrivé. Elle évoque donc l'incendie de 2011 de Charlie, l'affaire des caricatures danoises en 2004 et aussi un reportage qu'elle a effectué en décembre 2014 auprès des traditionnalistes catholiques. "Je voulais rappeler que Charlie a tapé sur tous les extrémismes et pas seulement sur l'extrémisme islamiste".
Propos recueillis par Anne-Laure Gannac
Adaptation web: Marie-Claude Martin