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Un livre raconte l'amour de Bob Marley pour la fille d'un dictateur

Anne-Sophie Jahn. [JF PAGA]
L'invitée: Anne-Sophie Jahn, "Bob Marley et la fille du dictateur" / Vertigo / 30 min. / le 19 avril 2021
Dans "Bob Marley et la fille du dictateur", la journaliste française Anne-Sophie Jahn revient sur l'histoire d'amour passionnée entre la star du reggae et la fille du président gabonais, Pascaline Bongo. Ce livre est le fruit d'une enquête de deux ans.

C'est, à priori, une histoire d'amour improbable, celle d'une star du reggae, apôtre du rastafari, et de la fille préférée d'Omar Bongo, ce président qui dirigea d'une main de fer le Gabon de 1967 à sa mort, en 1997. "Ce qui m'a fascinée, c'est la rencontre entre ces deux biographies, l'une connue de tous, l'autre plus mystérieuse, et l'impact que cette rencontre aura sur l'un et l'autre, notamment sur Bob Marley qui découvrira l'Afrique pour la première fois", dit Anne-Sophie Jahn, journaliste et autrice de "Bob Marley et la fille du dictateur" (Grasset).

Son livre est le fruit de deux ans d'enquête entre Paris, Los Angeles, Libreville et la Jamaïque, où elle a interrogé de très nombreux témoins, des producteurs aux musiciens, des cuisiniers aux hauts dignitaires de la Françafrique, des nombreuses compagnes de Bob Marley à sa famille la plus proche.

La fille préférée

La couverture du livre d'Anne-Sophie Jahn. [Editions Grasset]
La couverture du livre d'Anne-Sophie Jahn. [Editions Grasset]

Commençons donc par la biographie mystérieuse, celle de Pascaline Bongo, dont on ne sait même pas précisément la date de naissance. Parmi ses 54 frères et soeurs, elle est l'aînée mais surtout la préférée de son père qui lui accorde toute sa confiance. Après de brillantes études en France et aux Etats-Unis - elle est la première Gabonaise diplômée de l'ENA - elle devient cheffe de cabinet de son père, puis sa ministre des Affaires étrangères, de 1991 à 1994, et enfin sa seule héritière avec son frère Ali, aujourd'hui président.

Elle n'est encore qu'étudiante quand elle assiste, le 23 novembre 1979, au concert de Bob Marley à Los Angeles. Pascaline est subjuguée par la sensualité de la musique "dont la basse ralentit le rythme cardiaque", le charisme de cet homme qui invoque Dieu sur scène et sa capacité à faire communier son public dans une ambiance quasiment religieuse.

Mais l'effet retombera en coulisses lorsque la star planétaire, tout occupée à tirer sur un énorme joint, lance à la groupie: "Qu'est-ce que tu es vilaine!". Pascaline comprendra un peu plus tard qu'il parlait de ses cheveux défrisés, un outrage pour les rastas qui refusent de les couper et de les coiffer.

Une invitation à jouer au Gabon

Leur liaison commencera un peu plus tard, quand Pascaline invitera Bob Marley et les Wailers à jouer en 1980 à Libreville, au Gabon. Le groupe, qui n'a cessé de chanter le panafricanisme et de crier son amour pour la terre de ses ancêtres, accepte avec enthousiasme. Les musiciens seront reçus royalement malgré la défiance d'Omar Bongo qui juge Marley "révolutionnaire". Tout d'abord ébahis par le luxe de la famille présidentielle, les Jamaïcains découvriront peu à peu l'extrême misère de la population qui a voté à... 99% pour son président.

Ils étaient dans le fantasme de l'Afrique terre promise. En 1980, la Jamaïque, présidée par un blanc, était très raciste. Alors pour eux, un pays dirigé par un noir devait forcément ressembler au paradis sur terre. Ils étaient naïfs.

Anne-Sophie Jahn, journaliste et autrice.

Bob Marley est le moins affecté par ces disparités de classes. Il s'en accommode au nom d'un principe plus grand: Omar Bongo fut le seul à proposer que Haïlé Sélassié, empereur de l'Ethiopie et Dieu vivant pour les rastas, s'installe au Gabon après avoir été détrôné. Pour lui, c'était un acte qui méritait respect et admiration. La star du reggae ne s'en est jamais caché, ses deux maîtres, dont il portait toujours la photo sur lui, étaient Hailé Sélassié et Marcus Garvey, ce Jamaïcan considéré comme le premier animateur du mouvement rastafari né dans les années 1930.

"Pour comprendre la fascination de Bob Marley pour Pascaline Bongo, "sa princesse africaine", il faut revenir à ses origines. Son père, un blanc de grande famille, a séduit sa mère avant de l'abandonner. Bob Marley ne sera jamais à sa place: trop blanc pour la famille de sa mère, trop noir pour celle de son père. Il se tournera vers les rastas qui vont l'initier, incarnant cette figure paternelle qui lui a tant manqué", explique Anne-Sophie Jahn.

Une kyrielle d'enfants

Malgré des débuts embarrassants, le couple a vécu une histoire d'amour passionnée mais courte puisque Bob Marley décédera un an plus tard, le 11 mai 1981, d'un cancer généralisé. Pascaline Bongo, pourtant très discrète et pudique, confiera à Anne-Sophie Jahn qu'elle a été marquée à vie par cet homme magnétique qu'elle a accompagné jusqu'à ses dernières heures.

Magnétique et infidèle, puisque Bob Marley a reconnu onze enfants de sept relations différentes, dont les cinq de sa femme Rita (alors que certains n'étaient pas de lui) et un avec l'ex-Miss monde 1976. Environ 25 autres affirment être de son sang. "Il était rasta et sa philosophie c'était de tout partager. Et puis ce n'était pas de sa faute si les filles lui sautaient dessus, elles savaient toutes qu'il était marié… mais c'était une superstar", conclut Pascaline Bongo.

Propos recueillis par Anne-Laure Gannac

Adaptation web: Marie-Claude Martin

"Bob Marley et la fille du dictateur" (Grasset), de Anne-Sophie Jahn.

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