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L'écrivain Jean Rouaud retrace le parcours de la comète Rimbaud

Jean Rouaud. [DR - JF Paga]
Entretien avec Jean Rouaud, auteur de "La Constellation Rimbaud" aux éditions Grasset / QWERTZ / 42 min. / le 21 avril 2021
Dans "La constellation Rimbaud", essai biographique dense et érudit, l'écrivain français Jean Rouaud retrace le parcours fulgurant d'Arthur Rimbaud en avançant une thèse: ce n'est pas Arthur qui a abandonné la poésie, c'est la forme poétique qui s'est retirée du monde moderne.

Prix Goncourt 1990 avec son premier roman, "Les Champs d'honneur", Jean Rouaud a investi de nombreuses formes littéraires telles que le récit autobiographique, l'essai, le théâtre, le scénario de bande dessinée et la chanson… Mais jamais, il ne s'est adonné au vers.

Et pourtant, l'auteur a intitulé son cycle autobiographique comportant déjà cinq volumes "La vie poétique". Car appréhender le monde en poète n'implique pas pour autant de produire de la poésie, versifiée ou non. C'est donc en fraternité littéraire que Rouaud retrace le parcours de Rimbaud avec une écriture empreinte de poésie, d'érudition et parfois d'humour.

Fragments d'étoiles

Le titre de l'ouvrage, "La constellation Rimbaud" convient bien à la forme choisie par Jean Rouaud. De brefs textes s'y succèdent, tous portant le nom d'un lieu ou d'une personne liés de près ou de loin au poète. Autant de fragments d'étoiles, reliés par un récit lumineux.

"Rimbaud, c'est quelqu'un qui se déplace et multiplie les lieux", confie l'auteur. "Par ce dispositif littéraire, j'ai voulu le dessiner en creux à travers les nombreux témoignages de ceux qui l'ont croisé." Parmi eux, un certain Ernest Delahaye qui a connu le jeune Arthur sur les bancs du collège de Charleville.

Rimbaud était le moins dédaigneux des hommes, et tout comme Verlaine, affamé d'amitiés. Moins que rien suffisait pour avoir la sienne: un peu de bonté, de simplicité, de bongarçonnisme.

Ernest Delahaye cité par Jean Rouaud dans "La constellation Rimbaud"

Le témoignage d'Ernest Delahaye va à l'encontre de l'image qu'on se fait couramment du jeune prodige hautain et arrogant. Image cultivée par le cliché iconique saisi par le photographe Etienne Carjat sur lequel l'adolescent semble toiser le monde entier de son regard clairvoyant.

Hypothèses biographiques

En donnant la parole à celles et ceux qui ont croisé Rimbaud ne serait-ce que brièvement, Jean Rouaud cerne peu à peu son sujet et comble les lacunes biographiques en émettant des hypothèses. Avec précaution, l'auteur postule avant tout que la rupture du jeune Arthur avec l'écriture découle d'un constat d'obsolescence de la forme poétique. Dans un 19e siècle finissant où les techniques modernes imposent leur perception du réel, le vers ne rime plus à rien. Résonne alors le fameux "Il faut être absolument moderne" du poète.

Être absolument moderne, c'est écrire utile, pratique, précis. Comme l'est la science. Rimbaud y viendra dans sa maison d'Harar en s'imaginant grand reporter, ethnographe, se faisant envoyer une bibliothèque entière d'ouvrages scientifiques et techniques.

Jean Rouaud, extrait de "La constellation Rimbaud"

Haletantes sont les pages consacrées aux années orientales et mercantiles de Rimbaud. Période qui témoigne selon Rouaud d'un tropisme hérité du père militaire, polyglotte, grand amateur de culture islamique. Poignants sont les derniers fragments où apparaît Isabelle Rimbaud, la sœur cadette qui a accompagné son frère dans sa longue agonie marseillaise. Il y a 130 ans.

Et on refermera "La constellation Rimbaud" avec une pensée émue pour "la vache osseuse" du Tessin qui "dans une grange solitaire accepta de céder un peu de paille" au jeune poète en partance pour l'Italie… L'existence de cette vache hospitalière est célébrée à jamais sur une lettre d'Arthur adressée à Isabelle.

Jean-Marie Félix/ld

Jean Rouaud, "La constellation Rimbaud", Ed. Grasset.

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