On ne sait ni quel âge elle a, ni d'où elle est originaire. La maîtresse de Baudelaire, une femme de couleur, est nimbée de mystère. La mère possessive du poète a soigneusement fait brûler toute sa correspondance afin d'effacer ses traces. Jeanne Duval n’en est pas moins certainement l’amante et la muse des "Fleurs du mal", ainsi que la femme qui restera le plus longtemps dans sa vie.
Pour l'auteur de bande dessinée Yslaire, l'occasion de mettre en lumière cette femme qu’on a invisibilisée, victime des préjugés de son temps, s’impose assez vite. C’est à elle qu’il confie le soin de raconter Baudelaire, car il ne se satisfait pas du regard misogyne et raciste que portaient sur Jeanne la société et les amis de Baudelaire de l’époque. Yslaire cherche la vérité dans le texte. Son dessin se nourrit des poèmes car il en est convaincu: Baudelaire se reflète dans son œuvre.
"Son album intime, c'est 'Les Fleurs du mal'. C'est sans doute là qu'il est le plus authentique et le plus sincère. Et je me base sur ses poèmes pour essayer de comprendre ce qui se passait entre eux", explique Yslaire à la RTS.
Une mystérieuse relation
L'amour que porte Baudelaire à Jeanne Duval est très critiqué par la mère du poète, Caroline Aupick, qui entretient elle-même une relation compliquée avec son fils. C'est elle qui construit la légende de cette "Vénus noire". Baudelaire, de son côté, a soutenu Jeanne financièrement toute sa vie, malgré ses propres difficultés et le fait que sa mère avait mis son héritage sous tutelle. Leur relation d'amour était très étrange, à l'image de Baudelaire lui-même, torturé, excessif, drogué au laudanum, une teinture d'opium qu'il prenait pour combattre la syphilis.
"Certains contemporains de Baudelaire racontent que quand il allait voir Jeanne, il ne faisait pas forcément quelque chose de sexuel mais il lui lisait des poèmes. Or, les poèmes sont assez sexuels. Donc on peut imaginer un jeu érotique né entre eux, et qui raconte leur intimité. Et je me suis basé là-dessus pour raconter cette relation d'amour, très physique, mais avec un échange qui va peut-être au-delà. J'essaie d'interroger cela et c'est peut-être la force de la bande dessinée de poser des questions à travers le dessin qu'un écrivain ne doit jamais se poser", raconte l'auteur de la série "Sambre".
À travers le point de vue de la muse du poète, Yslaire revendique l’héritage de cette beauté métisse qui hante "Les Fleurs du mal" par le dessin et les potentiels infinis des mises en abîme de la bande dessinée. Cette "biographie dramatisée" éclaire les zones d’ombre de la vie de Baudelaire avec un regard singulier et révèle par le biais de la fiction une part de vérité.
Marlène Métrailler
Adaptation web: Melissa Härtel
Yslaire, "Mademoiselle Baudelaire", éditions Dupuis.
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