C'est l'histoire d'une fugue, d'une quête, d'un voyage initiatique. Un récit vieux comme le monde, et pourtant toujours neuf. Avec "Les printemps sauvages", Douna Loup reprend le fil de cette aventure inépuisable, offrant à la génération présente un conte universel au lyrisme puissant.
L'enfant sauvage
Née dans la forêt, amie des lacs, des fleurs et des chiens, la narratrice de ce cinquième roman vit dans sa chair ce que beaucoup, aujourd'hui, fantasment: une communion profonde avec la nature, une vie alignée sur une sobriété heureuse. Mais l'isolement, la présence sporadique d'une mère affairée lui pèsent. Aussi lorsqu'elle découvre, sur une photographie, le frère aîné qu'on lui avait caché, la jeune fille se lance sur les routes avec sa mère, lâchant tout pour aller à la recherche de cet autre, cette part manquante d'elle-même.
Je suivrai les pistes sauvages comme on suit un chemin. Tout sera clair et transparent dans l'air. Silencieusement mais très sûrement je sais que je vais, je vais et je vais. Vers quoi? Nul ne le sait mais il ne sert à rien de le savoir. Ce qui importe c'est que je vais.
Au fil du récit, de l'enfance à l'âge adulte, l'héroïne de ce roman se frotte de manière très concrète à l'altérité. En séjour sur l'île imaginaire de Locla-yom, l'adolescente y fait la rencontre de Barnabée. Personnage mi-homme, mi-femme, qui lui fait connaître l'amour et l'évidence de la fluidité des genres.
Plus tard, montant à la ville comme la protagoniste d'un roman d'apprentissage, la narratrice découvre l'engagement politique au sein d'un groupe qu'on devine altermondialiste, aiguisant sa pensée critique et planifiant un retour à la nature sur un mode communautaire.
Des préoccupations contemporaines
On l'aura compris: du rejet des genres binaires à l'écologie sociale, nombre de préoccupations éminemment contemporaines irriguent l'inspiration de Douna Loup. Pourtant, si l'autrice franco-suisse emploie volontiers le terme de "manifeste" pour décrire le substrat idéologique de son roman, si le récit se prolonge, en guise de postface, par un "Petit manuel d'ensauvagement", rien ici ne s'apparente à l'illustration scolaire d'une pensée politique, au tutoriel new age du parfait homme des bois.
C'est un roman porté par la joie et l'enthousiasme. Jamais je ne me suis sentie aussi libre, aussi joueuse avec les mots, les sonorités, tout ce foisonnement de voix et d'histoires. Ce livre est pour moi une célébration.
Inspiré d'expériences vécues, incarné dans un lyrisme jubilatoire, "Les printemps sauvages" inscrit son propos dans une écriture grouillante de vie, riche de sensations charnelles et de métamorphoses intimes. Ode délicate à la complexité de notre vie intérieure et de cette présence au monde qu'on ne finit pas de réinventer.
Nicolas Juillard/ld
"Les printemps sauvages", Douna Loup, Editions Zoé.
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