On connaît depuis longtemps le talent de romancier de Metin Arditi. Mais on sait moins que l'auteur considère le théâtre comme sa vocation première. "Freud, les démons et autres monologues", publié aujourd'hui même aux éditions BSN Press, témoigne tardivement de cet amour pour la scène nourri depuis l'enfance.
Metin Arditi est intarissable lorsqu'il évoque la découverte des joies du théâtre pendant ses années d'internat en Suisse. "Entre l'âge de 7 et 18 ans, j'ai fait du théâtre loin de ma famille, ça a été pour moi une expérience salvatrice et des moments d'intense bonheur, au point que j'aurais aimé en faire mon métier", se souvient-il avec la nostalgie d'un homme qui voit le temps passer.
Est-ce un signe? Les trois personnages qui prennent la parole dans ces monologues ont suffisamment de vécu et d'expérience pour tirer le bilan de leur vie. C'est le cas de Grégoire Karakoff, chef d'orchestre à la renommée internationale souffrant de pertes de mémoire. Il y a aussi Cornelius Van Gogh, père de Vincent, relatant avec regret la violente dispute qui l'a opposé à son fils artiste. Et Sigmund Freud, visité par des fantômes au moment de mourir.
Je me suis longtemps demandé si le propre des hommes n'est pas leur capacité à rater les occasions… Et même à les fuir, à grandes enjambées… Lorsqu'on se retourne sur sa vie, qu'on en tire un bilan, on devrait avoir le courage d'imaginer ce qu'elle aurait pu être.
Des regrets et des remords
En 1939, Freud a fui Vienne pour se réfugier à Londres. C'est là qu'il décède des suites d'un cancer de la mâchoire. Son médecin compatissant lui administre trois doses de morphine pour le soulager et l'aider à partir sereinement. En fondant son argument sur ce fait historique, Metin Arditi imagine le mourant dans un état de semi-conscience, convoquant l'une après l'autre quelques figures marquantes de son existence.
A commencer par Lou Andreas-Salomé pour laquelle Freud a nourri une passion secrète. Tellement secrète qu'il n'a jamais osé lui faire part de cet amour. Au moment de rendre l'âme, le vieil homme est rongé par le regret et imagine quelle aurait été sa vie s'il avait osé "caresser le sein de Lou" lorsque l'occasion s'était présentée.
Ce diable de Nietzsche (…) a construit sa statue en artiste. J'ai construit la mienne en besogneux.
Si le regret et le remords rongent, que dire de la jalousie! Parmi les fantômes qui viennent hanter Freud, celui de Nietzsche, le grand rival qui a su devancer les intuitions du scientifique avec la légèreté du poète. Le tâcheron et le funambule…
L'image du père
En fin de procession arrive le père de Freud, figure tyrannique et paradoxale, assaillant son fils mourant de reproches. Reproche de ne pas l'avoir honoré comme il se doit le jour de ses obsèques. Reproche de ne pas s'être montré suffisamment fier de son statut de Juif.
Freud passe alors les dernières minutes de sa vie à justifier ses actes et ses convictions. A défendre son rejet d'une quelconque fierté. "Peut-on être fier d'un héritage dont on n'est en rien responsable", rétorque-t-il à son père.
En 2017, Metin Arditi consacrait un récit à son propre père intitulé "Mon père sur mes épaules". Un livre intime dans lequel l'écrivain exprimait une conviction profonde: à défaut de tuer le père, on peut toujours se réconcilier avec lui par-delà la mort. Par la seule puissance des mots.
Jean-Marie Félix/ld
Metin Arditi, "Freud, les démons et autres monologues", Ed. BSN Press. Vernissage jeudi 20 mai 2021 à 17h à la librairie Molly & Bloom à Lausanne.
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