Après un premier roman largement autobiographique sur sa jeunesse, "Le Temps gagné", le professeur de philosophie et chroniqueur Raphaël Enthoven poursuit dans la veine narrative avec "L'Ecole des dames", une parodie en trois actes de "L'Ecole des femmes", pièce écrite en 1662.
"En homme du 17e siècle, Molière était un misogyne de coeur mais un féministe de raison. Ses personnages féminins ont souvent proféré des professions de foi libératrices. C'est la servante Dorine renvoyant à son hypocrisie Tartuffe avec un aplomb réjouissant, ce sont 'Les femmes savantes' qui ont le désir et la volonté de s'instruire, ce qui était un blasphème au 17e siècle", s'enflamme Raphaël Enthoven au micro de la RTS.
Parodie post #metoo
A partir de l'intrigue de "L'Ecole des femmes", l'auteur du "Temps gagné" a imaginé une parodie post #metoo, en alexandrins et en trois actes.
L'alexandrin fait passer la dureté du monde, la rend plus douce. C'est un subterfuge. J'ai pris un immense plaisir à les concevoir. Chaque vers était une conquête, une victoire.
Enthoven parle avec les mots du XXIe siècle et aborde les thèmes de société contemporains, dont le consentement, cristallisé autour d'un baiser volé.
L'intelligence sans instruction
Rappelons d'abord l'original: Arnolphe, vieux, riche et terrifié à l'idée d'être cocu, prétend qu'une femme ne peut être sage et vertueuse qu'autant qu'elle est ignorante et niaise. Aussi pour avoir une épouse à sa guise, il fait élever sa pupille de quatre ans, Agnès, dans un couvent loin de tout. Mais à quinze ans, Agnès est réveillée à l'amour par le jeune Horace...
"Agnès n'a reçu aucune éducation, ne connaît rien des choses du monde, c'est par l'amour qu'elle découvre la duplicité et c'est par la duplicité qu'elle se libère de ses chaînes - en envoyant un caillou sur la tête d'Horace, mais un caillou contenant un mot doux. Sa ruse n'est dictée par personne, d'elle-même, elle découvre l'intelligence. C'est une grande pièce féministe. Et comme Molière est un génie, il fait aussi la part belle au vieux barbon qui croit avoir trouvé la solution et comprendra que l'amour ne s'achète pas", dit Raphaël Enthoven.
La petite chatte est morte
Dans la version Enthoven, l'intrigue se situe dans le monde du spectacle. Le philosophe met en scène Jeanne, une actrice qui a été abusée mineure par Colin, acteur sexagénaire qui a lancé sa carrière au théâtre. En signe de reconnaissance, il exige de sa protégée des fellations qu'elle refuse au fil du temps et de ses succès.
En discutant de cette rebuffade avec son ami Farid, Colin imagine un piège pour humilier celle qui l'humilie. Il va monter "L'Ecole des femmes", y jouer Arnolphe, proposer à Jeanne le rôle d'Agnès et la faire tomber amoureuse de Nathan, le comédien homosexuel qu'il aura choisi pour incarner Horace. Elle recevra ainsi une double leçon: savoir ce qu'est le dépit amoureux et admettre qu'un véritable comédien n'a pas besoin de puiser dans son expérience personnelle pour avoir du talent, contrairement à ce qu'elle prétend.
Jeanne ne se revendique d'aucun féminisme et ne se comporte pas comme une offensée, elle n'en a pas besoin, l'époque le lui permet.
Ce féminisme opportuniste, comme le décrit Enthoven, est synthétisé, ironie ou ridicule, par la modification du célèbre vers d'Agnès, "le petit chat est mort" en "petite chatte est morte".
Le paradoxe du comédien
La question féministe, ou celle du consentement, devient secondaire face à la véritable question posée par cette farce: qu'est-ce qu'un bon acteur? Celui qui joue de sang froid, étudie son personnage, en constitue un modèle et s'éloigne de ce qu'il est pour l'atteindre? Ou celui qui s'identifie à son personnage et le construit dans la matière de ses émotions? (réponse 1). Enthoven passe par un autre philosophe, Diderot et "Son paradoxe du comédien", pour dire ce qu'il entend par grand-e comédien-ne et annoncer discrètement une prochaine étape de sa carrière: la mise en scène.
Propos recueillis par Anne-Laure Gannac
Adaptation web: Marie-Claude Martin
Raphaël Enthoven, "L'Ecole des dames", éditions de L'Observatoire.