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Les contes érotiques de La Fontaine: "une esthétique du voile"

Un buste Jean de La Fontaine par Jean-Antoine Houdon. [AFP - Manuel Cohen]
Entretien avec Mathieu Bermann, auteur de "Les Contes et nouvelles en vers de La Fontaine" / QWERTZ / 24 min. / le 7 juillet 2021
Né il y a quatre cents ans, le 8 juillet 1621 à Château-Thierry où il mourra 74 ans plus tard, Jean de La Fontaine est surtout devenu célèbre grâce à ses fables. Mais il a aussi écrit des contes. Gaillards, licencieux, libertins… en un mot, érotiques où il prend grand soin toutefois de rester allusif.

Connaissez-vous les contes érotiques de La Fontaine? Né il y a 400 ans, le 8 juillet 1621, à l'est de Paris, Jean de La Fontaine a offert à la galanterie de cour quelques-unes de ses métaphores les plus osées. Mathieu Bermann le sait bien: agrégé de lettres modernes, docteur en littérature et langue françaises, l’homme est l’auteur d’une thèse de référence sur la question, parue en 2016, "Les contes et nouvelles en vers de La Fontaine, Licence et mondanité" (ed. Garnier).

Littérature destinée aux femmes

Également auteur de trois romans, "Amours sur mesure" (2016), "Un état d’urgence" (2018) et "Un coup d’un soir" (2019), Mathieu Bermann, dans son travail de romancier, "essaie d’ausculter le discours amoureux contemporain". En commun avec La Fontaine, il y a donc ces questions de l'amour, du désir et de l’érotisme, des thèmes qui tiennent une place non négligeable dans la littérature du 17e siècle. Une littérature principalement destinée aux femmes de l’élite. "Je dois trop au beau sexe; il me fait trop d'honneur/ De lire ces récits; si tant est qu'il les lise", reconnaît-il ainsi dans "Les oies de Philippe".

Les premiers lecteurs des "contes", ce sont des lecteurs mondains, et ce sont surtout des femmes. Ces femmes qui sont cultivées, qui aiment les joies de la sociabilité, les joies amoureuses, une liberté à la fois d’esprit et souvent aussi de corps.

Mathieu Bermann, docteur en littérature et spécialiste de Jean de La Fontaine.

Entre 1668 et 1694, La Fontaine fera paraître 240 fables, véritables trésors de la langue française, que tout élève a ânonnés un jour ou l’autre, des fables si marquantes qu’elles ont donné naissance à des proverbes toujours vivants, qui frétillent dans nos conversations quotidiennes: "Tout flatteur vit aux dépens de celui qui l’écoute", "La raison du plus fort est toujours la meilleure", "Patience et longueur de temps font plus que force ni que rage", "Rien ne sert de courir; il faut partir à point", etc…

Toute cette sagesse étant bien sûr attribuée à des animaux, largement inspirée des antiques fables d’Esope, son glorieux prédécesseur grec.

>> A lire également : Le rôle des animaux dans la littérature

Moraliste et libertin

Mais avant la parution de ces fables, en 1665, ses premiers contes licencieux en vers font leur apparition. Beaucoup moins connus que les Fables, difficiles, même de nos jours, à trouver, ces contes-là montrent une tout autre facette de celui que l’on se représente volontiers comme un moraliste.

Conte de La Fontaine, illustré par Charles-Nicolas Cochin. [Leemage via AFP]
Conte de La Fontaine, illustré par Charles-Nicolas Cochin. [Leemage via AFP]

Ils sont – comme les Fables - également inspirés par de célèbres prédécesseurs tels Boccace ou Rabelais, que La Fontaine adapte avec son talent indiscutable au fil de quatre recueils (le quatrième sera interdit) et de soixante contes. Les principaux thèmes des contes, et leurs personnages, tournent autour du trio le mari, la femme et son amant. Les milieux religieux sont également largement mis à contribution, et les vœux de chasteté amplement mis à mal.

J'avais juré de laisser là les Nonnes
Car que toujours on voie en mes écrits
Même sujet & semblables personnes,
Cela pourrait fatiguer les esprits.

(Extrait de «Les lunettes», in Contes et nouvelles en vers de Jean de la Fontaine)

Cependant, La Fontaine sait que les limites de la transgression sont vite atteintes, et il prend grand soin de rester allusif, d’avoir recours à des euphémismes, des métaphores, il fait preuve d’une très grande inventivité dans sa manière de contourner - avec humour, toujours – toute trivialité.

Très légèrement, donc, la gaieté licencieuse des contes effleure et érafle en même temps, elle rassérène et inquiète, elle apaise et attise – elle passe.

Mathieu Bermann

L’équilibre est délicat; il n’empêchera pas à La Fontaine de se voir obliger une première fois de renier ses contes, pour être accepté à l’Académie française, puis une deuxième fois, peu avant sa mort. Affaibli, malade, sans doute soumis à la pression ecclésiastique, il les désavoue, les qualifiant de "contes infâmes et pernicieux, qu’il regrette infiniment d’avoir écrits". Lui, le libertin magnifique, amoureux des plaisirs, on le retrouvera, à sa mort, engoncé dans un dispositif d’auto-mortification.

Isabelle Carceles/mcm

Mathieu Bermann, "Les contes et nouvelles en vers de La Fontaine, Licence et mondanité", collection Classiques Garnier (2016).

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