Voilà longtemps que Tanguy Viel s’intéresse aux rapports de force. Depuis "Le black note", son premier roman en 1998, il aime mettre en scène des personnages aux vies cabossées, inoubliables perdants qui un jour tentent de réclamer leur dû, et bousculent une société bien huilée.
De livre en livre, il a ainsi ausculté de près la violence de classe à l’œuvre dans les petites villes de province. Il n’est donc pas si inattendu qu’il s’empare aujourd’hui d’un sujet très présent dans le débat public, mais pas si souvent traité en littérature: l'emprise. Et il est peut-être le premier auteur masculin à s’en saisir.
Ce roman est né d’une colère, d’une indignation. Si j’ai pu m’identifier, c’est que dans l’écriture ça a dépassé la question du genre. J’avais l’impression de pouvoir ressentir ce qu’était l’emprise.
"La fille qu’on appelle" nous emmène dans un commissariat. Laura, 20 ans, vient déposer plainte contre monsieur le maire. Il aurait abusé d’elle alors qu’elle était en recherche d’un logement. Une grande partie du livre se déroule dans ce huis clos, Laura qui tente, face à deux policiers médusés, d’expliquer ce que cela signifie d’avoir vingt ans, d’être en galère et de tomber sous la coupe d’un homme de pouvoir.
Tanguy Viel appartient à ce que l’on pourrait appeler "l’école Minuit", ces grands stylistes comme Yves Ravey ou Vincent Almendros qui utilisent les codes du roman noir pour les régénérer. Viel construit ici un texte très littéraire, extrêmement bien ficelé, qui attrape le lecteur dès la première page. L’auteur travaille avec un soin particulier le rythme et l’oralité, les phrases de Laura venant se heurter à celle des policiers.
Puisque donc ils se connaissaient bien, Max et Franck, ou plutôt s’étaient bien connus, mais avec l’âge ou la méfiance, quand dans les petites villes on soupçonne qu’on cohabitera jusqu’à la mort, alors on apprend à trouver la bonne distance, et de mille jours passés comme des frères on sait plus tard se saluer poliment comme si presque il ne s’était rien passé.
Un narrateur extérieur se faufile peu à peu dans le texte et, aux côtés de la déposition de Laura, raconte ce dont elle ne se doute pas: le passé. Celui du maire, celui du directeur du casino, et le passé du père de Laura, ce boxeur et ex-gloire locale devenu chauffeur particulier du maire. C’est lui qui a eu l’idée de présenter Laura à son patron. Et Viel n’a pas son pareil pour décrire cette petite ville de province proprette où les notables sont liés par de vieux secrets inavouables.
Sylvie Tanette/aq
Tanguy Viel, "La fille qu’on appelle", ed. de Minuit.
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