Conan, bien plus qu'un barbare en slip de fourrure

Grand Format

Marvel, 1986

Introduction

Loin de se limiter aux écrits de son créateur, l'Américain Robert E. Howard (1906-1936), le personnage de Conan le Cimmérien a connu de multiples adaptations en jeux vidéo, au cinéma et bien sûr dans la bande dessinée. Une exposition en marge du festival BDFIL à Lausanne remet à l'honneur le barbare le plus célèbre du monde.

Chapitre 1
Conan, un patrimoine vivant

Deuxième plus grande collection consacrée au neuvième art en Europe, le Centre BD de la Ville de Lausanne possède des centaines de périodiques et albums dédiés à Conan, personnage dont l'histoire éditoriale en bande dessinée est continue depuis 1970.

Pour faire connaître ce patrimoine, le Centre BD a monté une exposition entièrement consacrée au personnage de Conan, en marge du festival lausannois BDFIL, dont la 16e édition se tient du 16 au 20 septembre 2021.

>> A écouter, présentation de l'édition 2021 de BDFIL dans le 12h30 :

L'Affiche de Tardi pour cette 16e édition de BDFIL. [BEDEFIL]BEDEFIL
L'invité du 12h30 - Publié le 16 septembre 2021

"Intitulée 'Conan, le barbare du neuvième art', l'exposition débute avec les récits originaux et montre comment ces derniers ont été adaptés, retravaillés, parodiés jusqu'à transformer Conan en un cliché. Elle se conclut sur les excellentes adaptations BD actuelles de l’éditeur français Glénat, qui est sans doute le premier à respecter l’esprit des récits originaux", explique Boris Bruckler, commissaire de l'exposition.

Chapitre 2
Des aventures épiques

L'auteur américain Robert E Howard en 1934. [CC-BY-SA]
L'auteur américain Robert E. Howard en 1934. [CC-BY-SA]

Conan le Barbare naît en 1932 sous la plume du Texan Robert Ervin Howard (1906-1936). Sa première aventure s'intitule "Le phénix sur l’épée" et paraît dans "Weird Tales", l’un des très nombreux "pulps" (périodique de littérature populaire peu coûteux) publié du début jusqu'au milieu du XXe siècle. L’auteur produira en tout vingt nouvelles et un roman mettant en scène Conan.

En 1936, apprenant que sa mère malade est condamnée, Howard se suicide. Agé d'à peine 30 ans, il a définitivement marqué l’imaginaire populaire en créant un héros qui allait devenir l’archétype du barbare.

Voleur, mercenaire puis roi

Les récits de Conan, le barbare de Cimmérie, dépeignent trois périodes de la vie du personnage: sa jeunesse de voleur, ses années de mercenaire et finalement son règne en tant que roi d’Aquilonie. Loin d’être simplistes, les nouvelles d’Howard proposent des aventures épiques, violentes, horrifiques et sensuelles, dont l’une des thématiques récurrentes est la barbarie.

Elles se déroulent dans un passé mythique inventé par Howard, "l'âge hyborien". Cet univers est inspiré de ses lectures et de la mythologie, et l'auteur le situe entre la chute de l'Atlantide et l'essor des anciennes civilisations.

Pour Howard, la barbarie est l’exact équilibre entre la sauvagerie – qui rapproche l’humain de l'animal – et la civilisation – par nature décadente et toujours promise à la destruction. Le barbare, lui, est un être libre, suffisamment civilisé pour ne pas être une bête, mais suffisamment sauvage pour avoir la force de conduire son propre destin.

C'est avec ces récits (et ceux de "Kull, le roi barbare", trois ans auparavant) qu'Howard a contribué à la forme moderne du genre littéraire de la "fantasy", en étant l'un des fondateurs de l'"heroic fantasy".

Le personnage de Conan est devenu l’archétype du barbare de 'fantasy'. Un barbare sombre, juste et doté d’une force vitale surhumaine dans les écrits de Howard. Un barbare brutal, idiot et ridiculement viril dans certaines des adaptations et inspirations ultérieures.

Boris Bruckler, commissaire de l'exposition "Conan, le barbare du neuvième art"

"Avec l’avènement de la culture geek, le barbare Conan est devenu LA référence du barbare, de la même manière que les elfes et les nains de Tolkien dans 'Le Seigneur des Anneaux' sont devenus les modèles de ce type de personnages", poursuit Boris Bruckler.

Chapitre 3
Marvel entre en scène

Savage Tales, No 2, Marvel, 1973

S’il existe quelques rares exemples d’adaptations antérieures, c’est bien l’éditeur américain Marvel qui propulse à partir de 1970 les récits graphiques de Conan dans deux périodiques principaux: "Conan The Barbarian" (1970-1993), un comic book en couleur, et "Savage Sword of Conan" (1974-1995), un magazine en noir et blanc à destination explicite des adultes (notamment en termes d’érotisme et de violence). Ces deux périodiques comptabilisent en tout 510 numéros consacrés au barbare de Cimmérie, partiellement traduits en français dès les années 1970.

Quarante ans après les publications originales, Conan vit ses aventures dans le neuvième art, contribuant ainsi à sa reconnaissance publique et à une large diffusion de son univers de "sword and sorcery" (épée et sorcellerie).

Chapitre 4
Des ennemis à écraser

Marvel, 1986

La confrontation occupe une place très importante dans les périodiques consacrés à Conan. La scène de combat est bien sûr un classique des récits (super)héroïques, mais dans le cas du Cimmérien, elle occupe une place particulière puisqu'elle caractérise le personnage principal et donc les périodiques qui lui sont dédiés.

Conan the Barbarian, No 188, "Killing Season", Christopher Priest (scénario), John Buscema (dessin). [Marvel, 1986]
Conan the Barbarian, No 188, "Killing Season", Christopher Priest (scénario), John Buscema (dessin). [Marvel, 1986]

Le barbare se définit notamment au travers de sa supériorité physique sur son environnement. Conan est certes très vigoureux physiquement, doué d’une extraordinaire agilité et d’un sens du combat exacerbé, mais c’est avant tout de sa nature de barbare qu’il tire sa puissance.

Sa vitalité spécifique le rend supérieur aux civilisés qu’il domine aisément et seul le nombre ou la perfidie des machinations humaines permettent de l’entraver – pour un temps seulement.

C’étaient des loups mais il était un tigre.

Robert Ervin Howard, lorsqu'il compare des guerriers aguerris à Conan le barbare

Chapitre 5
Des bêtes monstrueuses

Marvel, 1978

Les bêtes sauvages, souvent gigantesques, et les monstres de toutes sortes sont des ennemis permanents dans les périodiques Conan.

Du côté des animaux sauvages, tout y passe: hordes de chiens et de hyènes, pythons et crapauds géants, rapaces, ours, gorilles, tigres et panthères, rats, insectes et araignées. En ce qui concerne les monstres fantastiques et horrifiques, les scénaristes puisent à la fois dans un bestiaire "classique" – kraken, dragons, hydres, loups et panthères-garous, dinosaures, etc – et dans un imaginaire plus débridé, notamment influencé par les récits de l’écrivain H.P. Lovecraft (avec qui Howard entretenait une riche correspondance) – monstres protoplasmiques multipliant tentacules et mâchoires, démons et hybrides de toutes sortes.

John Buscema (dessin), "Conan the Barbarian", 1978. [Marvel, 1978]
John Buscema (dessin), "Conan the Barbarian", 1978. [Marvel, 1978]

On peut voir dans ce défilé quasi-permanent de créatures un double contrepoint à la barbarie de Conan: d’un côté les animaux assimilés à la sauvagerie, de l’autre les monstres démoniaques qui sont, la plupart du temps, liés à la sorcellerie et donc à la dégénérescence de la civilisation.

Chapitre 6
La civilisation n’est pas naturelle

The Savage Sword of Conan, No 2, Marvel, 1974

Conan est un guerrier sans égal qui abat de son épée tous ses ennemis. Soldats, sorciers, bêtes et monstres, aucun n’échappe à la fureur du Cimmérien. Il est toutefois pour le barbare un adversaire plus subtil mais non moins dangereux: la civilisation.

Pour Robert E. Howard, la civilisation est par nature corrompue, toujours promise à la décadence et à la destruction. Seule la barbarie perdure car, comme nous le signale très directement l’écrivain dans sa nouvelle "Au-delà la rivière noire": "La barbarie est l’état naturel de l’humanité […]. La civilisation n’est pas naturelle. Elle résulte simplement d’un concours de circonstances. Et la barbarie finira toujours par triompher."

Les scènes de temples et de châteaux raffinés s’écroulant, voire même de destructions apocalyptiques de fin du monde, reviennent régulièrement dans les bandes dessinées dédiées à Conan. Seul le barbare – et ceux qui le suivent – émerge des décombres. De ces ruines naîtra une nouvelle civilisation promise elle aussi à la destruction dans un cycle éternel où finalement seule la barbarie reste immuable.

"A l’heure des catastrophes climatiques causées par les activités humaines, des promesses 'magiques' du transhumanisme et du technocapitalisme, les aventures de Conan sont particulièrement en phase avec notre époque", analyse Boris Bruckler.

Chapitre 7
Arnold le barbare

AFP - Universal Pictures / Dino De Laurentiis Company

Né en 1947, Arnold Schwarzenegger voit sa carrière d’acteur décoller grâce au film "Conan le barbare" de John Milius, sorti en 1982. Malgré une critique mitigée – notamment en raison de la violence présente et du message très individualiste porté par le réalisateur –, le film remporte un succès populaire et devient une référence du genre.

>> A écouter, l'émission "Travelling" dédiée au film de John Milius :

Arnold Schwarzenegger dans le rôle de Conan le Barbare. [AFP - Universal Pictures / Dino De Lau / Collection ChristopheL]AFP - Universal Pictures / Dino De Lau / Collection ChristopheL
Travelling - Publié le 12 janvier 2020

L’esthétisme et la mise en scène du long métrage magnifient le physique hors du commun de Schwarzenegger, champion du culturisme, faisant de lui la nouvelle représentation iconique de Conan.

Arnold Schwarzenegger en 1982 dans "Conan le barbare" de John Milius. [AFP - Archives du 7eme Art / Photo12]
Arnold Schwarzenegger en 1982 dans "Conan le barbare" de John Milius. [AFP - Archives du 7eme Art / Photo12]

Diverses suites ou pâles imitations sont tournées, sombrant bien souvent dans le kitsch voire le nanar, et faussent l’image du barbare en faisant de lui une simple brute en slip de fourrure.

Chapitre 8
Les femmes, ces faire-valoir

The Savage Sword of Conan, No 47, Marvel, 1979

Les personnages féminins ont généralement une place très stéréotypée dans l’univers de Conan. Leur rôle se résume la plupart du temps à celui de la princesse à sauver ou de l'esclave à libérer, de la succube manipulatrice usant de ses charmes, quand ce n'est pas tout simplement celui d'objet de désir dans une taverne ou un harem.

Les femmes sont fréquemment court-vêtues ou même entièrement nues. Elles ne résistent guère au charme viril du barbare de Cimmérie, voire tombent immédiatement amoureuses de lui et se jettent littéralement à ses pieds. Howard n’était pas dupe de cette érotisation facile qui avait pour but de faciliter la vente de ses nouvelles aux magazines "pulps" et d’obtenir la couverture du numéro du mois.

Guerrières farouches

Tous les personnages féminins ne sont toutefois pas réduits au rôle de faire-valoir sexy. Les guerrières farouches tiennent dans les adaptations BD une place importante et en particulier deux d’entre elles: Bêlit et Sonja.

Bêlit est une pirate créée dans la nouvelle d’Howard "La reine de la côte noire" (1934). Dans ce récit, Bêlit est une reine pirate, pillant et tuant sans état d'âme. Elle tombe amoureuse de Conan et s'associe à lui dans la piraterie avant de se faire assassiner par une race décadente de la jungle profonde. Elle n’est pas l’égale de Conan, qui reste un barbare dominant son entourage, mais elle peut être considérée comme le grand amour du Cimmérien: une femme forte, violente, indépendante et libre. C'est toutefois une autre femme forte qui est vraiment l'égale du barbare: Sonja la rousse.

Couverture de "Weird Tales" dépeignant Conan et Bêlit, mai 1934. [CC-BY-SA]
Couverture de "Weird Tales" dépeignant Conan et Bêlit, mai 1934. Dessin de Margaret Brundage. [CC-BY-SA]

Chapitre 9
Sonja la rousse

Sonja la rousse (Red Sonja) est un personnage de Howard créé en 1934 et qui dépeint une guerrière dans la Vienne assiégée par l’Empire ottoman en 1529. Elle fait des apparitions récurrentes dans les périodiques Conan durant toute leur publication. Red Sonja, sans être à proprement parler une barbare, a des compétences martiales hors du commun et un sens farouche de l'indépendance.

Elle tient tête à tous les hommes, les tuant aussi bien que Conan, et n'est jamais un objet de désir soumis au bon vouloir de quiconque. Elle n'en reste pas moins très sexuée, comme l'illustre son célèbre "bikini de mailles" qui apparaît dans le premier numéro de "Savage Sword of Conan" en 1974.

Les aventures récentes de Red Sonja jouent à fond sur son physique avantageux. Les poses lascives succèdent à la violence des combats dévoilant sous tous les angles son corps presque nu. Tout comme Howard à son époque, les scénaristes ne sont pas dupes de cette érotisation quelque peu vulgaire et tentent, vainement, de justifier son bikini de mailles.

"Red Sonja, La Diablesse à l’épée : Le Dieu Doom", illustrations signées Paul Renaud, éditions Panini 2009. [Panini]
"Red Sonja, La Diablesse à l’épée : Le Dieu Doom", illustrations signées Paul Renaud, éditions Panini 2009. [Panini]

A l’image d’autres personnages féminins forts de la culture populaire – par exemple Lara Croft dans la série "Tomb Raider" –, Red Sonja incarne un certain paradoxe de la modernité. Si le personnage surpasse physiquement les hommes et renverse une représentation traditionnelle de la femme soumise, c’est ce même physique très érotisé qui est constamment mis en avant.

On peut dès lors s’interroger sur la pertinence d’un personnage féminin dont la seule véritable différence avec un homme est sa poitrine…

Chapitre 10
Glénat et Conan: la barbarie à la française

Editions Glénat

A partir de 2018, l’éditeur français Glénat se lance dans un projet d’adaptation BD des aventures de Conan et fait le choix – contraint en raison de copyrights complexes – de travailler uniquement sur le matériel produit par Robert E. Howard.

Chaque album adapte une nouvelle d’Howard, avec à chaque fois des auteurs différents et par conséquent des visions esthétiques éclectiques. Très respectueuse des œuvres originales, ces adaptations proposent – pour la première fois sans doute – une lecture BD respectant l’esprit des récits howardiens.

Une planche de "Au-delà de la rivière noire", Conan le Cimmérien, signée Mathieu Gabella (scénario), Anthony Jean (dessin), 2018. [Editions Glénat]
Une planche de "Au-delà de la rivière noire", Conan le Cimmérien, signée Mathieu Gabella (scénario), Anthony Jean (dessin), 2018. [Editions Glénat]

Quatre-vingts ans après la mort de l’écrivain texan et cinquante après le début de l’aventure éditoriale de Marvel, c’est ainsi finalement en France que Conan retrouve ses racines barbares.

Chapitre 11
Conan se multiplie

AFP - Simon Varsano

Outre les bandes dessinées, l'histoire du Cimmérien se découvre également sous forme de simples récits littéraires. Dénaturés par des ajouts dès les années 1950, les écrits d'Howard ont été épurés et débarrassés de leurs compléments apocryphes par le Français Patrick Louinet dès 2007. En résulte une intégrale en trois volumes des aventures de Conan, parues aux éditions Bragelonne.

Jeux vidéos, de rôle ou de société, films, séries, dessins animés, parodies: depuis des dizaines d'années, Conan est au centre de multiples "produits dérivés" de toutes sortes, de qualité variable. Qu'on se rassure, le barbare de Cimmérie a encore de belles années devant lui.